Wikipédia est une encyclopédie en ligne qui a été créée par Jimmy Wales et Larry Sanger le 15 janvier 2001. À peine quinze ans plus tard, en 2016, elle enregistrait « en moyenne plus de 18 milliards de pages vues par mois1 », ce qui en faisait l&#8217;un des sites web les plus visités au monde. En 2022, Wikipédia est sans aucun doute l&#8217;encyclopédie la plus grande et la plus utilisée de l’histoire de l’humanité. Pourtant, comme l’observent les chercheurs Zachary J. McDowell et Matthew A. Vetter, son fonctionnement interne reste largement méconnu, en dépit de son omniprésence sur le web. Fort de ce constat, ils estiment que nous faisons actuellement face à un sérieux « manque d&#8217;engagements critiques vis-à-vis des personnes, des politiques, des processus et des personnalités qui gouvernent ce qui est inclus (et exclus) dans Wikipédia, en dehors de sa communauté (relativement petite et insulaire)2 ». La question qui se pose donc est la suivante : à quoi tient le succès d’estime du site ? Selon McDowell et Vetter, sa réussite reposerait essentiellement sur cinq piliers. 
 
Premièrement, Wikipédia se présente comme la plus grande encyclopédie du monde, ou plus exactement, comme la « référence mondiale de fait d’une connaissance dynamique3 ». Tandis que sa principale rivale dans l’anglosphère — l’encyclopédie Britannica — comprenait 32 volumes au total en 2010, Wikipédia en comptait non moins de 2 657 : signe d’une valorisation systématique de la quantité, au détriment de la qualité. Deuxièmement, Wikipédia se targue aujourd’hui d’être « neutre ». Comme stipulé dans la politique éditoriale du site, les membres sont incités à « éviter de présenter des opinions comme des faits, à éviter de présenter comme des faits des affirmations sérieusement contestées, à éviter de présenter des faits comme des opinions, à préférer un langage sans jugement, et enfin à indiquer la prééminence relative de points de vue opposés4 ». Pour Wikipédia, la véracité d’un fait se voit ainsi réduite à colporter ce que d’autres ont déjà pu dire, c’est-à-dire à convoquer un ensemble de sources secondaires, plus ou moins contradictoires entre elles. Cette politique éditoriale tend à miner durablement la cohérence explicative et la justification des articles. Troisièmement, Wikipédia s&#8217;appuie sur la collecte et l&#8217;échange décentralisés d&#8217;informations pour réduire l&#8217;incertitude des propos qui sont tenus en son sein. Par conséquent, il en résulte un processus d’anonymisation et de collectivisation des personnes contributrices. Ce phénomène a, lui aussi, été remis en question à maintes reprises, car il produit une forme de désengagement quant aux sujets traités. Quatrièmement, Wikipédia est avant tout une communauté (un aspect fondamental qui passe malheureusement souvent inaperçu). En effet, comme l’indiquent les chercheuses Heather Ford et Judy Wajcman, « tout le monde peut éditer les contenus, mais tout le monde ne le fait pas5 ». Cette situation s’accompagne d’un biais de genre évident : « Bien que les chiffres exacts soient difficiles à évaluer, écrivent-elles, personne ne conteste aujourd’hui que l’écrasante majorité des articles aient été rédigés par des hommes6 ». Et enfin, cinquièmement, la popularité de Wikipédia produit une forme d’hégémonie culturelle, de telle sorte que les contenus diffusés sur le site concourent à façonner des normes sociétales, en s’affranchissant des autorités compétentes.
 
En dépit de son incomplétude permanente et des biais systémiques qui l’habitent, Wikipédia reste un outil d’une efficacité redoutable pour représenter l’état actuel de nos connaissances sur une grande variété de sujets. De ce point de vue, les modalités concrètes de son hégémonie méritent d’être mieux analysées et comprises. – A.L.
 
1 Anderson, Monica, Paul Hitlin et Michelle Atkinson, « Wikipedia at 15:  Millions of readers in scores of languages », Pew Research Center, 14 janvier 2016, URL : &lt;https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/01/14/wikipedia-at-15/&gt;.
2 McDowell, Zachary J. et Matthew A. Vetter, Wikipedia and the Representation of Reality, New York, Routledge / Taylor &amp; Francis Group, 2022.
3 Graham, Mark, « Wiki Space: Palimpsests and the Politics of Exclusion » dans Geert Lovink et Nathaniel Tkacz (éds.), Critical Point of View: A Wikipedia Reader, Amsterdam, Institute of Network Cultures, 2011, p. 269. [traduction libre].
4 Wikipedia, s.v. « Wikipedia: Neutral Point Of View », Consulté le 6 octobre 2022, URL : &lt;https://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:Neutral_point_of_view&gt;.
5Ford, Heather et Judy Wajcman, « “Anyone Can Edit”, Not Everyone Does: Wikipedia’s Infrastructure and the Gender Gap », Social Studies of Science, Vol. 47, No 4, 1 août 2017, pp. 511-527. [traduction libre].
6 Ibid.

Wikipédia

La Bibliothèque du Congrès (Library of Congress) est l’institution culturelle fédérale la plus ancienne des États-Unis. Créée en 1800 en tant que bibliothèque législative, elle s’est transformée en une véritable institution nationale au cours du XIXe siècle. Dans la seconde moitié du XXe siècle, elle est devenue une ressource internationale de dimension inégalée et la plus grande bibliothèque du monde. Ayant fait le choix d’automatiser ses procédures de catalogage et de mettre en œuvre de nombreux programmes d’acquisition à l’étranger, l’institution connaît un fort taux de croissance entre 1954 et 1975. La collection de livres passe de 10 à 17 millions de volumes, le personnel de 1 600 à 4 500 personnes, et le crédit annuel de 9,5 millions de dollars à 116 millions de dollars. En collaboration avec le Congrès et le bureau de l&#8217;architecte du Capitole, la bibliothèque a commencé, en 1958, à planifier la construction d&#8217;un troisième grand bâtiment au Capitole. Actuellement dotée de trois bâtiments massifs – les Thomas Jefferson Memorial Buildings, John Adams Memorial Buildings et James Madison Memorial Buildings – la Bibliothèque du Congrès entend répondre aux besoins et aux préoccupations des secteurs gouvernementaux, éducationnels et bibliothéconomiques : « une combinaison peu commune, mais qui a grandement bénéficié à l&#8217;érudition et à la culture américaines1 ». En 2021, la bibliothèque comptait non moins de 173 731 463 items dans sa collection. Autre fait marquant : son système de classification (Library of Congress Classification System, LC) est aujourd’hui utilisé dans toutes les bibliothèques de l’Amérique du Nord. – A.L.
 
1 Library of Congress, s.v. « History of the Library of Congress », Consulté le 6 octobre 2022, URL : &lt;https://www.loc.gov/about/history-of-the-library/&gt;. [traduction libre].

Library of Congress

Les centres de données sont des infrastructures qui abritent « les équipements électroniques utilisés pour le traitement des données (serveurs), le stockage des données (équipement de stockage) et les communications (équipement de réseau)1 ». Ces équipements spécialisés assurent trois fonctions conjointes : (1) ils traitent, stockent et transmettent des données, afin de garantir le bon fonctionnement de l’Internet et du web; (2) ils assurent la conversion et la sauvegarde de grande quantité d’énergie, afin d’alimenter constamment les équipements de manière fiable et qualitative; et (3) ils sont dotés de nombreux équipements de contrôle, permettant de maintenir une température et un taux d’humidité appropriés dans les entrepôts où sont regroupés ces mêmes équipements2. Loin d’être virtuels, les centres de données représentent la face matérielle de l’économie numérique. D’un point de vue énergétique, la consommation d’électricité dans les centres de données mondiaux représentait entre 1,1% et 1,5% de l’utilisation totale d’électricité en 20103. Ce chiffre ne prend toutefois pas en compte la consommation des usagers, puisqu’il se limite à calculer la dépense énergétique moyenne des centres de données. Au XXIe siècle, les technologies de l’information et de la communication sont devenues l’une des forces majeures de l’économie mondiale, comprenant la navigation sur Internet, l’informatique, les achats en ligne, les transactions bancaires, la téléphonie mobile, les réseaux sociaux, les services médicaux, et bien d’autres activités. En conséquence, leur capacité de stockage et leur puissance de calcul n’ont cessé d’augmenter au fil des années.
 
Comme le remarque Hwaiyu Geng, ces infrastructures sont aujourd’hui impliquées dans toutes les sphères de la vie quotidienne : « Amazon, AT&amp;T, CIA, Citibank, Disneyworld, eBay, FAA, Facebook, FEMA, FBI, Harvard University, IBM, Mayo Clinic, NASA, NASDAQ, State Farm, gouvernement américain, Twitter, Walmart, Yahoo, Zillow, etc4 ». Et il ajoute : « cette liste triée par ordre alphabétique reflète les &#8220;besoins fondamentaux&#8221; que sont la nourriture, l&#8217;habillement, le logement, le transport, les soins de santé et les activités sociales qui garantissent les relations entre les individus5 ». – A.L.
 
1 Geng, Hwaiyu, Data Center Handbook, Hoboken, John Wiley &amp; Sons, 2015, p. 4. [traduction libre]
2 Cf. Khan, Samee U. et Albert Y. Zomaya (éds.), Handbook of Data Centers, New York, Springer, 2015. 
3Geng, Hwaiyu, op. cit., p. 4.
4 Ibid.
5 Ibid.

Centre de données

Les agences mondiales d’information (ou agences de presse, comme on les appelait jusqu’à récemment) jouent un rôle crucial dans la production et la diffusion des nouvelles. Pourtant, leur sphère d’influence et leur rayonnement restent encore très largement méconnus du grand public. Les premières agences ont été créées, dans le courant du XIXe siècle, afin de couvrir « l’actualité mondiale et nationale pour le compte quasi exclusif des journaux d’information générale1 ». Durant cette période, les agences se sont constituées sous la forme d’organisations privées dont le mandat était de vendre aux médias de l’information, à la manière d’un grossiste fournissant les détaillants. À partir du XXe siècle, leur activité s’est considérablement transformée, en raison de « la multiplication des médias et [de] l’évolution de la demande d’information qui ne transitait plus forcément par ces acteurs situés entre elles et les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs2 ». Fort de cette évolution, certaines agences ont réussi à construire de vastes réseaux capables d’assurer en temps réel la couverture de l’actualité en n’importe quel point du globe, en tirant profit de l’essor des médias électroniques. Par conséquent, une forte concentration du marché s’est fait jour à partir des années 1970-19803.
Aujourd’hui, seules trois agences se partagent la diffusion de l’actualité mondiale : l’américaine Associated Press, la canado-britannique Reuters, et l’Agence France-Presse. Selon Michel Mathien et Catherine Conso, les « agences de presse internationales » se sont ainsi durablement transformées en « agences mondiales d’information », en raison de la mondialisation de l’information, d’une part, et de la disparition des frontières en ce domaine, d’autre part4. Dans le même ordre d’idées, Henri Pigeat et Pierre Lesourd notent que les agences « fournissaient ou certifiaient, directement ou indirectement, plus de 80% de l’information internationale et une très forte majorité des autres informations en 20145 ». Cette situation hégémonique, pour ne pas dire monopolistique, tend à générer un climat de méfiance face à l’uniformisation des sources. Deux stratégies ont, jusqu’à présent, permis de contrer ce rapport de force : la multiplication des médias et la valorisation d’un journalisme d’investigation, à même de recouper convenablement ses sources. Comme le précisent Michel Mathien et Catherine Conso, la « concentration des médias [reste malgré tout] une réalité à prendre en considération tout comme l’usage qui est fait par les médias des informations diffusées par les agences, en particulier avec l’automatisation des procédures informatiques et la livraison de produits &#8220;prêts à publier&#8221;6». Si le journalisme consiste à reproduire mot à mot les dépêches fournies par les agences, il contribue de fait à uniformiser les contenus, la présentation et la hiérarchisation de l’information, ce qui tend à renforcer inexorablement le mythe du « journal unique ». Ainsi, la monstruosité de l’archive numérique devrait être contrebalancée par un autre phénomène social concomitant, et non moins inquiétant, à savoir la concentration des sources de production et de diffusion de l’information qui s’est opérée depuis une cinquantaine d’années.
– A.L.
 
1 Mathien, Michel, et Catherine Conso, Les agences de presse internationales, Coll. « Que sais-je ? », Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 3.
2 Ibid., p. 3.
3 Ibid., p. 104.
4 Ibid., p. 104.
5 Pigeat, Henri et Pierre Lesourd, Les agences de presse – Face à la révolution numérique des médias, Paris, Direction de l’information légale et administrative, 2014, p. 8.
6 Mathien, Michel et Catherine Conso, op. cit., p. 24.

Agence de presse

Deep Storage: Collection, Storing, and Archiving in Art est une exposition qui a été réalisée par cinq commissaires (Ingrid Schaffner, Hubertus Gaßner, Bernhart Schwenk, Matthias Winzen et Stefan Iglhaut) qui a été présentée dans plusieurs institutions, telles que le MoMA PS1 (New York), la Haus der Kunst (Munich), ou encore la Henry Art Gallery (Washington D.C.). Dans son article « Deep Storage: On the Art of Archiving » (1995), Ingrid Schaffner esquissait les grandes lignes de ce qui allait devenir, quelques années plus tard, le programme de cette exposition. Elle expliquait que « le stockage des œuvres d’art pouvait dans de nombreux cas être considéré comme un art à part entière1», puisque certains moyens de conservation sont aujourd’hui devenus plus sophistiqués que les œuvres elles-mêmes. L’article retraçait aussi comment, en reprenant à leur compte certains protocoles archivistiques, plusieurs œuvres d’art sont parvenues à anticiper leur muséification, tout en développant des systèmes alternatifs et autonomes qui défiaient l’autorité du musée et son ordonnancement implicite (dont celles de Marcel Broodthaers, Hanne Darboven, Marcel Duchamp, ou encore On Kawara). 
 
Conscients du fait que l’espace d’exposition ne représente qu’une infime proportion de l’art qui se fait, dans la mesure où les réserves des musées stockent, rassemblent, et peuvent parfois soustraire à la vue du public certaines œuvres, nombre d’artistes ont jugé nécessaire d’interroger la logique informationnelle du monde de l’art. L’exposition regroupe ainsi divers œuvres et essais traitant de ce sujet, en cherchant à offrir une réflexion plus large sur la force symbolique des musées :
 
<blockquote>To visit the storeroom, where objects dwell cut off from critical aura, is to contemplate art in a state of temporal remission. Paintings hang in row upon graceless row, on rack after regimented rack. Sculptures mill about like excess garbage. In that other great repository, the museum archive, dead documents lie in a state of suspended insignificance. Ironically, the storeroom stirs with signs of life. The skin of the unwrapped package, the spectacle of an unopened container or closed file can be an arousing suggestion of unknown possibilities, with contents made desirable precisely through their inaccessibility2.</blockquote>
 
– A.L.
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1Schaffner, Ingrid, « Deep Storage: On the Art of Archiving », Frieze, No 23, Juin/août 1995, URL : &lt;https://www.frieze.com/article/deep-storage&gt;. [traduction libre].
2 Schaffner, Ingrid, « Deep Storage » dans Ingrid Schaffner et Matthias Winzen (éds.), Deep Storage: Collecting, Storing, and Archiving in Art, Munich, Prestel, 1998, p. 11.
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Participants
Arman, Arndt/Moonen, Richard Artschwager, Eugène Atget, Hannelore Baron, Bernd et Hilla Becher, Joseph Beuys, Douglas Blau, Jennifer Bolande, Christian Boltanski, Karsten Bott, Marcel Broodthaers, David Bunn, Sophie Calle, Christo, Joseph Cornell, Meg Cranston, Hanne Darboven, David Deutsch, Marcel Duchamp, Hans-Peter Feldmann, Fleischmann/Strauss, Fluxus, Vera Frenkel, Jochen Gerz, Sabine Groß, Lynn Hershman, Stefan Hoderlein, On Kawara, Karen Kilimnik, Peter Kogler, Louise Lawler, George Legrady, Piero Manzoni, Paul McCarthy, Annette Messager, Reinhard Mucha, Wilhelm Mundt, Claes Oldenburg, Nam June Paik, Robert Rauschenberg, Jason Rhoades, Edward Ruscha, Jeanne Silverthorne, Daniel Spoerri, Steinle/Rosefeldt, Thomas Virnich, Andy Warhol, Ute Weiss-Leder, H.C. Westermann, Peter Wüthrich
 
Lieux d’exposition
Museum of Modern Art (MoMA) PS1, New York, du 5 juillet au 30 août 1998
Haus der Kunst, Munich
 
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Commissaires d’exposition : Ingrid Schaffner, Hubertus Gaßner, Bernhart Schwenk, Matthias Winzen, Stefan Iglhaut

Deep Storage: Collecting, Storing, and Archiving in Art

Information est une exposition collective qui a été réalisée par le commissaire Kynaston McShine au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, en 1970. Elle comprenait les œuvres de 100 artistes américains et européens conceptuels, comme Vito Acconci, Art &amp; Language, Jan Dibbets, Hans Haacke, Christine Kozlov, Dennis Oppenheim ou encore Adrian Piper. S’articulant autour d’une expographie hors norme, l’idée de l’exposition était de présenter un ensemble d&#8217;archives, de documents, de films et de photographies, afin de montrer l’intérêt des artistes à utiliser les moyens de communication pour en révéler les contenus politiques et médiatiques. Dans le catalogue d’exposition, une série de projets non réalisés dans l’exposition proprement dite ont malgré tout été documentés et publiés, de manière à brouiller la distinction entre les sources primaires et secondaires. Voici comment Kynaston McShine décrivait l’exposition :
 
With an artworld that knows more readily about current work, through reproductions and the wide dissemination of information via periodicals, and that has been altered by television, films and satellites, as well as the “jet”, it is now possible for artists to be truly international; exchange with their peers is now comparatively simple. The art historian’s problem of who did what first is almost getting to the point of having to date by the hour. Increasingly artists use mail, telegrams, telex machines, etc., for transmission of works themselves—photographs, films, documents—or of information about their activity. For both artists and their public, it is a stimulating and open situation, and certainly less parochial than even five years ago. It is no longer imperative for an artist to be in Paris or New York. Those far from the “art centers” contribute more easily, without the often artificial protocol that at one time seemed essential for recognition1.
 
Alternativement décrite comme le « symptôme des processus d’informatisation2 », comme un témoignage des « aspirations politiques de la contre-culture3 », ou encore comme un signe avant-coureur de la « visibilité accrue qu’acquerrait les parrainages d’entreprises dans l’espace sanctifié du musée4 », Information s’est aussi nettement démarquée à l’époque par la prévalence de certains choix curatoriaux. Pour l’historien de l’art Adam Lauder, la mise en scène d’une série d’opérations surnuméraires aurait favorisé une « dissémination abrasive d’informations redondantes, en attirant l’attention du public sur les fonctions de gestion qui étaient traditionnellement dévolues au conservateur5 ». De ce point de vue, l’exposition dévoilait de manière prémonitoire comment l’informatisation allait durablement transformer le monde de l’art et ses sphères d’intervention. – A.L.
 
1 McShine, Kynaston (dir.), Information [catalogue d’exposition], New York, Museum of Modern Art (MoMA), 1970, p. 140.
2 Meltzer, Eve, « The Dream of the Information World », Oxford Art Journal, Vol. 29, No 1, 2006, pp. 115-135.
3 Allan, Ken, « Understanding Information » dans Michael C. Corris (éd.), Conceptual Theory, Myth, and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, pp. 144-168.
4 Staniszewski, Mary Anne, The Power of Display: A History of Exhibition Installations at the Museum of Modern Art, Cambridge, The MIT Press, 1998.
5 Lauder, Adam, Executive Fictions: Revisiting Information [mémoire de maîtrise], Montréal, Concordia University, 2010.
 
Participants
Vito Acconci, Carl Andre, Siah Armajani, Keith Arnatt, Art &amp; Language Press, Art &amp; Project, Richard Artschwager, David Askevold, Terry Atkinson, David Bainbridge, John Baldessari, Michael Baldwin, Barrio, Robert Barry, Frederick Barthelme, Bernhard and Hilla Becher, Joseph Beuys, Mel Bochner, Bill Bollinger, George Brecht, Stig Broegger, Stanley Brouwn, Daniel Buren, Victor Burgin, Donald Burgy, Ian Burn and Mel Ramsden, James Lee Byars, Jorge Luis Carballa, Christopher Cook, Roger Cutforth, Carlos D&#8217;Alessio, Hanne Darboven, Walter de Maria, Jan Dibbets, Gerald Ferguson, Rafael Ferrer, Barry Flanagan, Group Frontera, Hamish Fulton, Gilbert and George, Giorno Poetry Systems, Dan Graham, Hans Haacke, Ira Joel Haber, Randy Hardy, Michael Heizer, Hans Hollein, Douglas Huebler, Robert Huot, Peter Hutchinson, Richards Jarden, Stephen Kaltenbach, On Kawara, Joseph Kosuth, Christine Kozlov, John Latham, Barry Le Va, Sol LeWitt, Lucy R. Lippard, Richard Long, Bruce McLean, Cildo Campos Meirelles, Marta Minujin, Robert Morris, N. E. Thing Co. Ltd., Bruce Nauman, New York Graphic Workshop, Newspaper, Group Oho, Helio Oiticica, Yoko Ono, Dennis Oppenheim, Panamarenko, Giulio Paolini, Paul Pechter, Giuseppe Penone, Adrian Piper, Michelangelo Pistoletto, Emilio Prini, Alejandro Puente, Markus Raetz, Yvonne Rainer, Klaus Rinke, Edward Ruscha, J. M. Sanejouand, Richard Sladden, Robert Smithson, Keith Sonnier, Ettore Sottsass jr., Erik Thygesen, John Van Saun, Guilherme Magalhaes Vaz, Bernar Venet, Jeffrey Wall, Lawrence Weiner, Ian Wilson
 
Lieu d’exposition
Museum of Modern Art (MoMA), New York, du 2 juillet au 20 septembre 1970

Commissaire d’exposition : Kynaston McShine

Information

Software – Information Technology: Its New Meaning for Art est une exposition collective qui a été réalisée par le commissaire et artiste Jack Burnham au Jewish Museum (New York), ainsi qu’à la Smithsonian Institute (Washington D.C.). Le thème de l’exposition partait d’une idée simple, mais novatrice pour l’époque : réunir des ordinateurs et des artistes conceptuels autour de la métaphore du logiciel, en l’envisageant comme un processus ou comme un programme à exécuter par une machine ou par le public sur la base d’« instructions » formulées par l&#8217;artiste. Dans le catalogue de l’exposition, cette métaphore servait une double fonction : d’une part, à réunir un ensemble de pratiques dites « post-formalistes » privilégiant « une expérience immédiate, par opposition à l’empathie que pourrait susciter l&#8217;intention de l’artiste au travers de l&#8217;objet d&#8217;art » ; et d’autre part, à établir des parallèles entre les nouvelles préoccupations esthétiques et les représentations mentales et sociales que suscite le discours cybernétique. Plusieurs personnalités mondialement reconnues y participèrent : Vito Acconci, Agnes Denes, Hans Haacke, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, Les Levine, Nicholas Negroponte, Ted Nelson, ou encore Lawrence Weiner. Jack Burnham estimait qu’en vertu de leur capacité à fusionner l’acte d’observer et la chose observée, les programmes informatiques étaient sur le point de bouleverser les notions de créativité et de perception et qu’ils redessineraient les frontières de la conscience esthétique. Dans sa propension à accumuler perpétuellement des données et à les remédiatiser sous diverses formes, Software – Information Technology aurait anticipé le développement du régime techno-informationnel dans lequel nous vivons. – A.L.
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Participants
Vito Acconci, David Antin, John Baldessari, Robert Barry, Linda Berris, Scott Bradner, Donald Burgy, Paul F. Conly, Agnes Denes, Robert Duncan Enzmann, Carl Fernbach-Flarsheim, Giorno Poetry Systems, John Goodyear, Hans Haacke, Douglas Huebler, Allan Kaprow, Joseph Kosuth, Les Levine, Theodor H. Nelson, Jack Nolan, R.E.S.I.S.T.O.R.S., Allen M. Razdow, Evander D. Schley, Sonia Sheridan, Theodosius W. Victoria, Lawrence Weiner, Ned Wooman
 
Lieux d’exposition
Jewish Museum, New York, du 16 septembre au 8 novembre 1970
Smithsonian Institute, Washington D.C., du 16 décembre 1970 au 14 février 1971

Commissaire d’exposition : Jack Burnham

Software – Information Technology: Its New Meaning for Art

Stasi City est une installation vidéo à quatre canaux tournée dans le quartier général, entre temps abandonné, de la défunte police secrète est-allemande à Berlin. Cette police agissait comme un organe de surveillance et de répression du parti communiste. Elle était officiellement appelée le ministère de la Sécurité d&#8217;État (Ministerium für Staatssicherheit, MfS), et officieusement nommée la Stasi (abréviation de Staatssicherheit). Cette œuvre vidéo revêt une dimension à la fois politique et historique. Les images ont été capturées quelques années après la réunification de l’Allemagne. Labyrinthe de couloirs, salles d’interrogatoire, éclairage au néon, ensemble de portes ouvertes et fermées composent le portrait documentaire d’un lieu encore chargé de souvenirs, en dépit de son abandon par les autorités officielles. À bien des égards, son architecture aux accents bureaucratiques et totalitaires est une réminiscence des privations de liberté et des exactions qui ont pu y être commises. Le sujet humain étant volontairement absent du décor, il devient possible d’apercevoir le caractère anonymisant, pour ne pas dire dépersonnalisant, d’un lieu destiné à accumuler perpétuellement de l’information. – A.L.

Stasi City

Esposizioni in tempo reale est une série de 35 expositions réalisée par Franco Vaccari entre 1969 et 2007 qui se sont déroulées en « temps réel ». Le mode opératoire de chaque exposition a été régulièrement adapté et renouvelé, afin de dévoiler la manière dont l’art contemporain s’approprie les dispositifs de vision et s’inscrit dans une société du spectacle. Ouvertes, potentiellement infinies et collectives, les expositions s’appuient sur le principe d’accumulation et sont centrées autour d’une poétique visant à interroger la fabrique du quotidien. Selon l’historienne de l’art Nicoletta Leonardi, l’Exposition en temps réel a pour objectif de dévoiler « comment les expériences privées et publiques sont représentées au moment où le spectacle et l&#8217;industrie culturelle envahissent massivement les espaces, les institutions et les pratiques de l&#8217;avant-garde1 ». 
 
Réalisée dans le cadre de la 36e Biennale de Venise, en 1972, l’exposition no 4, sous-titrée Laisse sur ces murs une trace photographique de ton passage, est l’une des plus connues de la série. Franco Vaccari y place une cabine photographique dans l’espace d’exposition, en l’accompagnant d’une inscription en quatre langues (italien, allemand, anglais, français) invitant le public à laisser une trace de son passage. Durant le vernissage, qui s’est étalé sur une période de trois jours, l’artiste a remis des certificats signés et numérotés aux membres du public ayant accepté de se faire photographier. Imprimé sur un carton, le certificat comprenait une carte postale détachable qui pouvait être retournée contre une adresse postale. Par ce moyen, il a pu informer certaines personnes de la sortie du catalogue d’exposition, dont les cinq cent exemplaires ont été rapidement écoulés. À la fin de l’évènement, plus de 6 000 bandes photographiques étaient accrochées sur les murs de l’exposition. Par cette série d’expositions, Franco Vaccari cherche à saisir la constitution d’un nouveau régime énonciatif marqué par l’effacement de la subjectivité et la crise de la sphère publique, en raison d’une spectacularisation de la vie quotidienne. – A.L.
 
1 Leonardi, Nicoletta, « Photography and the Representation of Subjectivity in Franco Vaccari’s Exhibitions in Real Time » dans Esposizioni in tempo reale – Exhibitions in Real Time [catalogue d’exposition], Chiara Scardoni (éd.), Bologna, Damiani, 2007, pp. 25-31. [traduction libre].

Esposizioni in tempo reale n.4 Lascia su queste pareti una traccia fotografica del tuo passaggio, 1972 Fait partie de la série Esposizioni in tempo reale, 1969-2007

Esposizioni in tempo reale

Le concept de temps réel provient à l’origine du domaine informatique, où il a été employé pour décrire des opérations ou des processus dont le délai de réponse, entre l’événement et sa prise en charge, devait être précisément déterminé et généralement court1. Un échange d’information en temps réel se déroule ainsi à l’intérieur de limites de temps définis, d&#8217;une durée suffisamment rapide pour qu’il puisse affecter l&#8217;environnement dans lequel il se produit. On retrouve ses premières occurrences dans le champ de la simulation informatique, un domaine de recherche dans lequel une série de calculs sont effectués par ordinateur, afin de reproduire le plus fidèlement possible certains phénomènes physiques2. Dans ce contexte, le fait qu’une simulation puisse être trop rapide ou trop lente peut avoir des conséquences désastreuses, surtout si ce phénomène n’est pas reconnu et pris en compte (pensons, par exemple, aux tables balistiques, aux systèmes d&#8217;aéronefs, ou encore au contrôle de tir). Par extension, d’autres domaines de recherche et secteurs d’activités se sont approprié le concept pour désigner n’importe quel type d’action se déroulant de façon immédiate ou sans délai. Dans le domaine artistique, l’artiste et théoricien Jack Burnham a été l’un des premiers à s’interroger sur l’applicabilité du concept. Dans un article Real Time Systems (1969), il écrit que « le temps réel est en train de devenir le mode de traitement de l&#8217;information le plus courant3 » et souligne que les artistes doivent comprendre les enjeux soulevés par ce nouveau type de transmission, dans la mesure où ces systèmes font partie intégrante des événements qu’ils entendent surveiller et contrôler. Et il ajoute : « Pour utiliser une autre analogie cybernétique, je dirais que les artistes sont des systèmes &#8220;amplificateurs de déviations&#8221;, ou des individus qui, en raison de leur constitution psychologique, sont contraints de révéler des vérités psychiques aux dépens de l&#8217;homéostasie sociétale existante. Avec une agressivité croissante, l&#8217;une des fonctions de l&#8217;artiste, je crois, est de préciser comment la technologie se sert de nous4 ». – A.L.
 
1 Liu, Jane W. S., Real-Time Systems, Upper Saddle River, Prentice Hall, 2000.
2 Martin, James T., Programming Real-Time Computer Systems, Englewoods Cliffs, Prentice Hall, 1965.
3Burnham, Jack, « Real Time Systems », Artforum, Vol. 8, No 1, Septembre 1969. [traduction libre].
4Ibid.

Temps réel

La notion de surveillance désigne l&#8217;acte d’observer avec une attention soutenue, de manière à exercer un contrôle, une vérification. Les termes voisins de supervision ou de monitorage sont également employés dans la littérature technique et scientifique. Qu’elles soient opaques ou transparentes, secrètes ou évidentes, les pratiques de surveillance semblent néanmoins être vieilles comme le monde. Au Ve siècle AEC, un court traité de stratégie militaire chinois, L’Art de la Guerre de Sun Tzu, expliquait d’ores et déjà l’intérêt d’utiliser des espions pour défaire l’ennemi. C’est dans les sociétés contemporaines, cependant, que les pratiques de surveillance se sont cristallisées sous des formes spécifiques, en devenant à la fois routinières et systématiques, puis en faisant appel aux mécanismes de l’individuation et de l’organisation bureaucratique3. De nos jours, le développement conjoint de l’électronique, des ordinateurs, des satellites, de l’Internet et des téléphones intelligents a en effet démultiplié les champs d’investigation et les modes de collecte. Le thème de la « surveillance de masse » trouve ainsi un écho particulier dans les arts et la littérature du XXe siècle, notamment dans le roman d’anticipation 1984 (1950) de l’écrivain George Orwell, qui décrit l&#8217;avènement d’un régime totalitaire dans lequel toutes les actions et les pensées des individus sont minutieusement captées et exploitées. Pour le spécialiste David Lyon, les recherches portant sur le thème de la surveillance ont également connu une forte impulsion depuis les années 1980-1990. Selon lui, le développement de ce champ de recherche aurait été motivé par deux facteurs : d’une part, l’essor de l’informatique; et d’autre part, la production d’un ensemble de théories et de contre-théories, suite à la parution du livre Surveiller et punir : naissance de la prison (1979) de Michel Foucault. De son côté, David Lyon s’attache à décrire les sociétés contemporaines au prisme de ce qu’il appelle une culture de la surveillance qui est à la fois imaginée et vécue, lorsque certaines activités banales comme marcher dans la rue, conduire une voiture, lire ses messages, acheter un produit ou bien écouter de la musique en viennent à être affectées par des formes de contrôle, de supervision ou de vérification. – A.L.

Surveillance

Avec Museum in Progress, Isabelle Arthuis cherche à questionner la prégnance des dispositifs de vision dans les sociétés contemporaines et à évaluer leurs modes opératoires sur une base comparative. L’œuvre est composée d’images satellite de l’Europe et de clichés photographiques en noir et blanc pris du sol, placardées sur 2 500 panneaux publicitaires à travers la ville de Vienne. S’y confrontent des méthodes de visualisation que l’on tient habituellement pour séparées : l’imagerie satellite, développée à l’origine dans un contexte militaire, la photographie documentaire en noir et blanc et l’affichage publicitaire. Réalisé entre décembre 2001 et janvier 2002, le projet a été commandé par l’organisme Museum in Progress : un projet curatorial visant à développer des modèles de coopération entre l’économie, l’art et les médias. C’est grâce à une collaboration avec des scientifiques et une compagnie aérienne que l’artiste a pu utiliser les images satellites, dont elle propose une interprétation alternative en créant des contrastes entre les vues abstraites et surplombantes du territoire et des moments concrets de l’existence captés en noir et blanc par l’appareil photographique. L’espace publicitaire vient aussi perturber l’expérience et la lecture des images. – A.L.

Museum in Progress

Le concept de post-vérité (de l’anglais post-truth) fait référence à une anxiété publique de nature transnationale quant à la revendication du statut de vérité. Cette situation contemporaine s’accompagne d’une contestation systématique de la légitimité des sources et des autorités compétentes. ​​En 2016, le terme a été nommé mot de l&#8217;année par l’Oxford Dictionary, qui le définissait comme suit : « situation dans laquelle les faits objectifs sont moins influents dans la formation de l&#8217;opinion publique que les appels à l&#8217;émotion et à la croyance personnelle1 ». Selon cette même source, le concept existerait depuis une dizaine d’années et il aurait connu un pic de fréquence lors des débats entourant le Brexit au Royaume-Uni et la campagne présidentielle de Donald Trump aux États-Unis. Dans ce contexte, il s’est principalement vu employé par rapport à une politique dite « post-factuelle » (post-truth politics), afin de dénoncer une stratégie électoraliste dans laquelle la réalité des faits et la véracité des propos semblaient être devenues secondaires. Comme le souligne le théoricien des médias Jayson Harsin, les usages populaires et académiques ne s’accordent pas encore complètement sur la signification du concept, même si la plupart des occurrences l’associent à des formes de communication spécifiques, comme « les fausses nouvelles, les rumeurs, les canulars et les mensonges politiques2 ». Cette rupture du lien de confiance s’expliquerait par « la polarisation de groupe, les politiciens sans éthique, l’absence de réglementation sur les médias socionumériques, le journalisme de mauvaise qualité ou, tout simplement, le chaos inévitablement engendré par les technologies de l’information et de la communication3 ». Ainsi, le concept fait sien un champ lexical beaucoup plus large et antérieur incluant, entre autres, la dénonciation de la démagogie, de la propagande ou du dogmatisme idéologique. Il s’en distingue cependant sous plusieurs aspects. Tandis que la critique marxiste (ou marxienne) partait du principe selon lequel les citoyens lambda avaient une conception erronée du monde et souscrivaient à leur insu à l’idéologie dominante, le concept de post-vérité renvoie plutôt à l’idée que « les conceptions “populaires” de la réalité sont devenues confuses ou suspectes, en raison d’une saturation des représentations qui donnerait lieu à des jeux d’expertise et des tromperies stratégiques de nature pan-partisane4 ». En ce sens, l’instrumentalisation de la représentation et sa diversification dans l’ère numérique donnent lieu à une fragmentation du corps social : une tendance qui renforce les paradoxes de l’archive. – A.L.
 
1 Oxford Languages, s. v. « Word the Year 2016 », Consulté le 20 mars 2022, URL : &lt;https://languages.oup.com/word-of-the-year/2016/&gt;.
2 Harsin, Jayson, « Post-Truth and Critical Communication Studies », Oxford Research Encyclopedia, Communication, Consulté le 20 mars 2022, URL : &lt;<a href="https://doi.org/10.1093/acrefore/9780190228613.013.757">https://doi.org/10.1093/acrefore/9780190228613.013.757</a>&gt;.
3 Ibid. 
4 Ibid.

Post-vérité

L’obsolescence est un concept philosophique qui désigne le fait d’être désuet ou périmé. Dans le langage courant, il est essentiellement utilisé par rapport à des biens de consommation ayant été dépréciés, non pas en raison de leur usure matérielle, mais bien en raison du progrès technique, de l’évolution des comportements humains ou de la mode. Le syntagme « obsolescence programmée » renvoie, quant à lui, à une stratégie commerciale consistant à limiter intentionnellement la durée de vie d&#8217;un produit, afin d’en favoriser le renouvellement. Le livre L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956) de Günther Anders est une des premières études philosophiques à s’être intéressée à la force d’attraction de ce concept, à ses connotations symboliques, et à en avoir renversé le jeu d’opposition traditionnel1. Ainsi, au lieu de considérer les biens de consommation comme périssables, en vertu des horizons d’attente sans cesse renouvelés et changeants de la société de consommation, l’auteur part du principe selon lequel les êtres humains seraient eux-mêmes devenus remplaçables et interchangeables, suite à la deuxième révolution industrielle. Cette situation nouvelle s&#8217;accompagnerait, selon lui, de la production d’un sentiment inédit : la honte prométhéenne, soit une « honte qui s&#8217;empare de l’être humain devant l&#8217;humiliante qualité des choses qu&#8217;il a lui-même fabriqué2 ». De la même manière, l’archive peut devenir honteuse lorsqu’elle cesse d’être pensée en rapport à un sujet humain. Aux termes d’un long processus tautologique, l’archive finit ainsi par se désubstantialiser et devenir éphémère, à l’instar des êtres qui la portent. – A.L.
1 Anders, Günther, L’obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Christophe David (trad.), Paris, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, Éditions Ivrea, 2002 [1956].

Obsolescence

L’immédiateté est un concept philosophique qui bénéficie d’une longue histoire dans le domaine esthétique. Selon le chercheur Joseph Kickasola, ce concept désigne le plus souvent « un type de communication relativement direct, précédant les catégories linguistiques et produisant subséquemment un impact expressif et émotionnellement puissant1 ». En ce sens, l&#8217;immédiateté résulte de la confluence de multiples facteurs physiologiques, historico-culturels, psychologiques et sémiotiques. Dans un même ordre d’idées, le philosophe George D. Romanos a démontré qu’un large éventail de penseurs ont bâti leurs systèmes esthétiques autour de ce concept, tels que Henri Bergson, John Dewey, ou encore David W. Prall2. De son côté, le philosophe Wallace Jackson soutient que l’immédiateté aurait d’abord été conceptualisée par les esthéticiens britanniques du XVIIIe siècle, en soulignant la connotation quasi religieuse dont elle faisait alors l’objet3. Au cours du XXe siècle, le concept suscite de nombreux débats philosophiques : l’immédiateté devrait-elle constituer la catégorie primaire de l’expérience esthétique, au détriment des processus de signification, ou bien est-elle le résultat de ces mêmes processus, auquel cas le concept perdrait toute antériorité logique ? Autrement dit, quelles relations dialectiques s&#8217;instaurent entre le médiat et l’immédiat ? Plus récemment encore, Joseph Kickasola souligne que la signification du concept semble avoir profondément changé au cours des vingt dernières années : « Qu&#8217;entendons-nous au juste par la notion d’immédiateté aujourd’hui ? Le contrôle direct par l&#8217;interactivité ? L&#8217;accès direct à la &#8220;réalité&#8221; par le reportage ? Ou bien à ce qui ressemble à un reportage (par exemple, la télé-réalité) ? Ou bien encore, le caractère émotionnellement direct de ce qui serait sensationnel, spectaculaire ?4 » Dans le même esprit, l’historien de l’art William Kaizen soutient que l’art vidéo s’est historiquement construit autour de la critique des médias de masse et de leur archivage perpétuel du présent, au profit d’une approche plus expérimentale et politique : 
<blockquote>In the context of early video art, working against the immediacy of the mass media meant creating new forms of circulation as a complement to, as well as a critique of, electronic instantaneity. It meant working both “up against” the speed at which a medium like television circulates information and “in opposition” to its capabilities by harnessing its speed for different ends. “Against” also harbors a third meaning: “to be in competition with.” If these artists were competing with the mainstream mass media, they did so by offering contemplative experiences at odds with the distracted speed that already imbued the electronic public sphere circa 19705. </blockquote>
– A.L.
 
1 Kickasola, Joseph, « Contemporary Media and the Evolving Notion of Immediacy », Quarterly Review of Film and Video, Vol. 23, N° 4, 2006.
2 Romanos, George D., « On the “Immediacy” of Art », Journal of Aesthetics and Art Criticism, Vol. 36, N° 2, 1977, pp. 73–80.
3 Jackson, Wallace, Immediacy: The Development of a Critical Concept from Addison to Coleridge, Amstersam, Rodopi NV, 1973.
4 Kickasola, Joseph, ibid.
5 Kaizen, William, Against Immediacy: Video Art and Media Populism, Hanover, Dartmouth College Press, 2016, p. 9.

Immédiateté

L’hyperobjet est un concept qui a été développé par le philosophe Timothy Morton, dans La pensée écologique (2019 [2010]). Il désigne « des choses massivement réparties dans le temps et l’espace par rapport aux êtres humains1 », telles que les trous noirs, les gisements pétroliers, la fission nucléaire ou la biosphère. Le mot provient à l’origine du domaine informatique, où il désignait une technique de simulation visant à représenter des objets qui excédaient la troisième dimension, soit l’espace qui nous entoure, tel que perçu par la vision humaine2. Selon Timothy Morton, un hyperobjet devrait être qualifié d’« hyper » par rapport à une autre entité, qu’il soit directement fabriqué par des êtres humains ou pas. Dans une parution ultérieure, intitulée Hyperobjets : philosophie et écologie après la fin du monde (2018 [2013]), l’auteur tente de cerner cinq qualités propres à ce type d’objets :
Ils sont visqueux, ce qui signifie qu’ils « collent » aux êtres auxquels ils sont associés. Ils sont non-locaux; autrement dit, toute « manifestation locale » d’un hyperobjet n’est pas directement l’hyperobjet. Ils impliquent des temporalités profondément autres que celles à échelle humaine auxquelles nous sommes habitués. En particulier, certains hyperobjets très grands, comme les planètes, ont une temporalité authentiquement gaussienne : ils génèrent des vortex de l’espace-temps, à cause de la relativité générale (ondulation temporelle). Les hyperobjets occupent un espace de phase à dimension élevée, qui les rend par moments invisibles aux humains (phasing). Et ils présentent leurs effets de manière interobjective; ils peuvent être détectés dans un espace composé d’interactions entre les propriétés esthétiques des objets. L’hyperobjet n’est pas fonction de notre savoir : il est hyper par rapport aux vers de terre, aux citrons et aux rayons ultraviolets, tout comme par rapport aux humains3.
– A.L.
 
1 Morton, Timothy, The Ecological Thought, Cambridge, Harvard University Press, 2010, pp. 130-135. Traduction en langue française par Cécile Wajsbrot, La pensée écologique, Paris, Zulma, 2019. 
2 Noll, A. Michael, « A computer technique for displaying n-dimensional hyperobjects », Communications of the ACM, Vol. 10, N° 8, Août 1967, pp. 469-473.
3 Morton, Timothy, « Hyperobjets », Laurent Bury (trad.), Multitudes, Vol, 3, n° 72, 2018, pp. 109-116. ; Morton, Timothy, Hyperobjects: Philosophy and Ecology after the End of the World, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2013. Traduction en langue française par Laurent Bury, Hyperobjets : philosophie et écologie après la fin du monde, Saint-Étienne, Cité du design, 2018.

Hyperobjet

L’exhaustivité est un concept qui désigne la capacité d’épuiser une matière, de traiter un sujet à fond. Dans son article « Archiver le présent : le quotidien et ses tentatives d’épuisement » (2016), le sémioticien et théoricien de la culture Bertrand Gervais élargit la charge symbolique de cette opération. À ses yeux, la deuxième moitié du vingtième siècle serait marquée par une accumulation étonnante de tentatives d’épuisement dans le champ artistique et littéraire. Selon lui, nous aurions assisté à l’émergence d’une véritable poétique consistant à « aborder le réel et ses objets en tentant d’en épuiser le sens, la forme ou le matériau même1 ». Bien que n’étant pas nécessairement tributaires des dispositifs numériques, les tentatives d’épuisement prennent aisément place, selon l’auteur, dans une culture de l’écran qui en surdétermine le principe et qui en multiplie, de façon presque exponentielle, les possibilités de réussite. En nous laissant croire que nous pourrions bénéficier un jour d’une connaissance quasi totale du monde et de ses manifestations, le numérique serait ainsi implicitement fondé sur un mythe : à chaque élément du monde équivaudrait un élément de la description ou de la représentation. Or, si une telle équivalence est inatteignable dans les faits, son illusion n’en demeure pas moins facile à mettre en scène. Selon Bertrand Gervais, l’illusion d’exhaustivité survient lorsque « la quantité d’éléments inclut dans la représentation, non pas tant s’approche de l’équivalence, mais dépasse les attentes des lecteurs ou spectateurs quant aux possibilités mêmes de la représentation2 ». – A.L.
 
1Gervais, Bertrand, « Archiver le présent. Le quotidien et ses tentatives d’épuisement », Sens public, 2016, URL : &lt;<a href="http://sens-public.org/articles/1204/">http://sens-public.org/articles/1204/http://sens-public.org/articles/1204/</a>&gt;.
2Ibid.

Exhaustivité

L’événement monstre est un syntagme qui a été forgé par l’historien Pierre Nora, afin de problématiser l’inadéquation de la mémoire et de l’histoire. Dans un article éponyme, « L’événement monstre » paru dans la revue Communications en 1972, l’auteur soutient que les médias de masse se seraient accaparés le monopole de l’histoire, raison pour laquelle l’événement s’offrirait désormais à la communauté historienne « de l’extérieur, de tout le poids d’un donné, avant son élaboration, avant le travail du temps1 ». En imposant immédiatement le vécu comme histoire, mais aussi en augmentant l’étendue du présent, les médias assureraient une promotion allant du vécu au légendaire. La signification de l’événement tendrait alors à se vider au profit de ses virtualités émotionnelles, ce qui lui conférerait un caractère monstrueux. La vitesse de retransmission apparaît comme la cause nécessaire d’une telle transformation. En abolissant les délais, l’événement se trouve à être projeté dans le vécu des masses, sous forme de spectacle, de divertissement dramatique, ou de fête que la société se donne à elle-même. Cette distinction entre mémoire et histoire a ensuite été approfondie dans l’ouvrage collectif Les Lieux de mémoire (1984) : « La mémoire est la vie, écrit Pierre Nora, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations2 ». À l’inverse, l’histoire se rapporte à la construction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. Et ce hiatus se noue autour des pratiques de l’archive : « Moins la mémoire est vécue de l’intérieur plus elle a besoin de supports extérieurs et de repères tangibles d’une existence qui ne vit plus qu’à travers eux. D’où l’obsession de l’archive qui marque le contemporain, et qui affecte à la fois la conservation intégrale de tout le présent et la préservation intégrale de tout le passé3 ». La construction de lieux de mémoire est ainsi appréhendée par Pierre Nora comme le symptôme de la perte de nos milieux de mémoire. Dans ses écrits, cette situation est corrélée à la mondialisation, à la démocratisation, à la massification et à la médiatisation, soit autant d’éléments qui bouleversent notre rapport à l’histoire. Le concept d’archive monstre fait explicitement référence à l’œuvre de Pierre Nora. Lorsqu’elle a été invitée dans le cadre du groupe de recherche Archiver le présent, l’historienne de l’art Marie Fraser s’interrogeait en ces termes : « l’ordinateur aurait-il rendu l’archive monstrueuse, au même titre que les médias de masse ont fait de l’histoire une agression, et rendu l’événement monstrueux?4 ». En déplaçant l’espace et la temporalité de ce qu’on considère être des prérogatives de l’archive (à savoir, son autorité et son hégémonie), le big data produit aujourd’hui des archives monstrueuses, non pas parce qu’elles sont insaisissables à leur échelle, mais parce qu’elles prétendent pouvoir englober le monde dans sa totalité, en rendant cette même totalité immédiatement accessible à l’écran5. – A.L.
 
1 Nora, Pierre, « L’événement monstre », Communications, No 18, 1972, p. 164.
2 Nora, Pierre, « Entre mémoire et histoire : la problématique des lieux », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, T. 1 : La République, Paris, Gallimard, 1984, p. xxvii.
3 Ibid.
4 Fraser, Marie, « L’archive monstre », Archiver le présent, Consulté le 8 juillet 2022, URL : &lt;<a href="http://archiverlepresent.org/terminologie/archive-monstre">http://archiverlepresent.org/terminologie/archive-monstre&gt;</a>
5 Voir Marie Fraser « L’archive monstre : de l’ars memoria au big data », dans Jean-Marie Dallet et Bertrand Gervais (dir.), Architectures de mémoire, Dijon, Presses du réel, 2019, p. 172-187.

Événement monstre

L’économie de l’attention est un thème dont les enjeux structurels se laissent entrevoir, d’après le philosophe Yves Citton, dès le début du XXe siècle. Par exemple, le sociologue Gabriel Tarde en exposa, dès 1902, trois axes d’analyse : premièrement, le mode de production industriel a imposé à l’ouvrier une fatigue de l’attention, le caractère répétitif de la tâche ayant pour corollaire de le distraire; deuxièmement, l’attention a progressivement été appréhendée comme une source de revenus, c’est-à-dire comme une denrée qui pouvait être captée par la publicité, de manière à résorber les biens surnuméraires issus de la surproduction industrielle; et troisièmement, l’alignement des structures d’attention a favorisé l&#8217;avènement d’une nouvelle économie de la visibilité, qui est intrinsèquement fondée sur des mécanismes de glorification ou de starification, dans la mesure où la concentration des canaux d’information tend spontanément à massifier le public1. En se penchant sur la littérature dédiée à ce sujet de recherche, Yves Citton remarque pourtant que l’on attribue généralement la parenté de ce thème au chercheur Herbert A. Simon qui, dans une publication datant de 1971, en a formalisé les enjeux structurels :
 
<blockquote>Dans un monde riche en informations, l&#8217;abondance d&#8217;informations entraîne la pénurie d&#8217;une autre ressource : la rareté devient ce que consomme l&#8217;information. Ce que l&#8217;information consomme est assez évident : c&#8217;est l&#8217;attention de ses receveurs. Donc une abondance d&#8217;informations crée une rareté de l&#8217;attention et le besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des sources d&#8217;informations qui peuvent la consommer2.</blockquote>
 
Il faudra cependant attendre jusqu’au milieu des années 1990 pour que le thème de l’économie de l’attention soit finalement pris au sérieux dans les cercles universitaires. C’est au sociologue, philosophe et architecte Georg Franck qu’appartient « le privilège d’avoir développé le premier (et sans doute encore le meilleur) cadre d’analyse de ce nouveau domaine, dans une série d’articles remontant à 1989, mais synthétisés dans un ouvrage fondateur publié en 19983». Suite à sa parution, trois grandes attitudes se sont imposées dans le débat public. La première est de nature économique ou managériale : elle se fixe pour objectif d’optimiser la mobilisation de ressources attentionnelles toujours plus précieuses au sein d’une compétition toujours plus intense. La deuxième est critique ou contestataire : elle dénonce vivement les effets aliénants des manipulations attentionnelles induites par les technologies de l’attraction. Enfin, la troisième peut être qualifiée de cognitivo-comportementale : elle tente de mesurer l’impact des nouvelles technologies sur le développement de nos capacités mentales et de nos subjectivités4. De son côté, Yves Citton préfère parler d’une écologie de l’attention, car l’orthodoxie économiste aurait selon lui tendance à prôner une méthodologie individualiste trompeuse, dans la mesure où l’attention serait profondément relationniste et qu’elle ne saurait être, à ce titre, entièrement isolée de son milieu. À vrai dire, la prolifération des données numériques repose probablement sur un impensé de ce type. Sachant que l’attention humaine est intrinsèquement limitée, la surcharge informationnelle est peut-être le symptôme d’un problème de grande ampleur, ayant trait à l’incapacité de créer des liens significatifs entre les membres du corps social. – A.L.
 
1 Citton, Yves, Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014, pp. 26-31. ; Tarde, Gabriel, Psychologie économique, T. 1, Paris, Alcan, 1902, pp. 92 et 162. 
2 Simon, Herbert A., « Designing organizations for an information-rich world » dans Martin Greenberger (dir.), Computers, Communication, and the Public Interest, Baltimore, Johns Hopkins Press, Baltimore, 1971. [traduction libre].
3Citton, Yves, ibid. ; Georg Franck, Ökonomie der Aufmerksamkeit: Ein Entwurf, Munich, Carl Hanser, 1998. ; Georg Franck, « Die neue Währung: Aufmerksamkeit. Zum Einfluß der Hochtechnik auf Zeit und Geld », Merkur, Vol. 486, Août 1989, p. 688-701. ; Georg Franck, « Ökonomie der Aufmerksamkeit », Merkur, Vol. 534-535, Septembre/Octobre 1993, p. 748-761. 
4Citton, Yves, ibid.

Économie de l’attention

La cybernétique est à la fois une métascience et un champ d’études interdisciplinaires. Au départ, elle entendait fonder un cadre conceptuel qui puisse être applicable à toutes les disciplines scientifiques, indépendamment de leurs méthodes ou de leurs objets. Son concept phare, la causalité circulaire, peut être résumé en ces termes : les résultats des actions observées doivent être pris en compte par rapport à des boucles de rétroactions, afin de favoriser la poursuite, le maintien ou la perturbation des conditions singulières et propices à l’action envisagée. Pour comprendre le bien-fondé de cette approche hétérodoxe, l’étymologie du mot « cybernétique » nous paraît très éclairante. Provenant du grec ancien κυβερνητική (kubernêtikê, de kubernân) signifiant « gouverner », le mot se rapportait à l’origine à la conduite d&#8217;un navire, c’est-à-dire à un exercice au cours duquel il fallait maintenir un cap stable dans un environnement changeant, en ajustant continuellement sa conduite en réponse aux effets observés. Or, ce type de processus est aujourd’hui présent dans un grand nombre de phénomènes ou d’activités, qui peuvent aussi bien être d’ordre naturel, qu’artificiel : p. ex. un thermostat est un appareil de chauffage qui module la température d’une pièce en fonction d’un ensemble de changements mesurés à l’intérieur d’un espace prédéfini, tandis que le système nerveux assure la coordination des mouvements de plusieurs espèces animales, à partir d’un couplage réciproque de la perception et de l’action. À bien des égards, le caractère inter-, trans-, voire anti-disciplinaire de la cybernétique lui octroie aujourd’hui un statut hors norme, où cohabitent plusieurs champs d’expertise et de compétence : une spécificité qui peut parfois lui conférer une grande influence dans les milieux intellectuels, mais qui favorise aussi la production d’interprétations contrastées, pour ne pas dire hétérogènes, à son sujet.
Afin d’y voir plus clair, l’histoire de ce champ d’études est également riche en information, surtout si l’on souhaite en saisir les enjeux théoriques et méthodologiques. Entre 1946 et 1953, la Josiah Macy Jr. Foundation parraine une série de conférences à New York, présidée par Warren McCulloch, sur le thème des « mécanismes de causalité circulaire et de rétroaction dans les systèmes biologiques et sociaux ». En 1948, le mathématicien Norbert Wiener publie le livre Cybernetics: Or Control and Communication in the Animal and the Machine. Lors de sa parution, ce livre connaît un succès de librairie époustouflant, à un point tel que l’historien Ronald R. Kline juge rétrospectivement que les décennies 1950-1970 ont été profondément marquées par ce qu’il appelle un « moment cybernétique » dont le legs serait tout aussi significatif, à ses yeux, que la révolution numérique. Loin d’avoir perdu sa pertinence, la cybernétique a su s’adapter aux critiques qui lui ont été adressées et son cadre conceptuel s’est imposé dans le domaine scientifique et, a fortiori, dans le débat public. Ainsi, la cybernétique de premier ordre (centrée sur les concepts de structure, d’information, de régulation et de totalité) a dorénavant laissé place à une cybernétique de second ordre (axée sur les concepts de communication, d’autonomie et d’auto-organisation). Cette dernière prend davantage en compte la position de l’observateur ou de l’observatrice, ainsi que les effets du système d’observation sur la chose observée. Bien que minoritaires, certains spécialistes jugent même que l’intégration de l’acte d’observation devrait être étendue, afin de mettre au point une cybernétique de troisième ordre, qui prêterait attention aux contextes sociaux et écologiques. 
D’une certaine manière, la cybernétique a été l’un des premiers champs d’études à anticiper les dangers que pourraient causer l’accroissement et le dérèglement de nos sources d’information. Dans son livre Cybernetics, Norbert Wiener soutenait notamment que la société, qu’il comparait à un organisme vivant, ne pourrait survivre qu’à la condition de posséder des moyens d&#8217;acquisition, d&#8217;utilisation, de rétention et de transmission de l&#8217;information. Selon lui, cette fonction primaire ne devait donc être subordonnée à aucunes autres (telles que la recherche du profit ou la captation du pouvoir), car cela risquerait à long terme d’endommager la société tout entière. De nos jours, la prolifération des données peut encore être vue comme le symptôme d’un tel dérèglement : pour que l’accroissement de la quantité d’informations disponibles soit socialement vécu comme une chose bénéfique, un saut qualitatif doit advenir dans les protocoles entourant la mise en circulation de l’information. – A.L.

Cybernétique

La chronophobie est à l’origine un concept psychologique qui désigne une forme d’anxiété grave, un sentiment d&#8217;effroi, des comportements obsessionnels, un trouble dépressif liés à une peur du temps ou, plus exactement, du temps qui passe. Dans son livre Chronophobia: On Time in the Art of the 1960s (2006), l’historienne de l’art Pamela M. Lee élargit la portée de ce concept, afin d’étudier le rapport à la temporalité dans l’art des années 1960. La scène artistique de l’après-guerre aurait été profondément marquée, selon l’auteure, par un sentiment d’anxiété et de malaise à l&#8217;égard du temps, en raison de l’informatisation. Elle constate notamment que la volonté de mettre à jour les caractéristiques propres et exclusives à chaque médium artistique, en valorisant leurs qualités propres, masquerait plus fondamentalement un rejet de la durée et du temps. Le temps dans l’œuvre d’art, le temps de la quotidienneté ou encore le temps vécu comme infini se situent en effet aux antipodes de la présence moderniste. Cette peur du temps, aussi involontaire soit-elle, reflète un changement dans les conditions de création artistique, en lien avec l’expansion économique de la Guerre froide. Pamela M. Lee suggère alors que le développement de l’informatique et les processus d’automatisation qui caractérisent cette période ont renforcé un sentiment d’inconnaissance historique : l’augmentation du rythme de vie ayant pour corollaire d’épuiser toute tentative visant à accorder du sens au moment présent. L’art des années 1960 peut ainsi être lu comme l’un des préludes de notre fixation actuelle sur le temps et la vitesse au sein de la culture numérique. En épuisant les catégories temporelles, au profit d’une logique strictement quantitative, l’archivage numérique dévoile la chronophobie de notre époque : il met perpétuellement en scène sa propre inefficience, ses propres dysfonctionnements, son propre avilissement. – A.L.

Chronophobie

Le big data (également appelé en français mégadonnées ou données massives) est étroitement lié au développement des technologies de l’information et de la communication, dans la mesure où elles bénéficient actuellement d’un taux de croissance particulièrement élevé quant à leur puissance de calcul et de stockage. Cette nouvelle masse de données ne détonne pas uniquement par sa taille, mais aussi par sa complexité. Au lieu de prélever des échantillons soigneusement construits à partir d’un ensemble de données restreint, nous avons affaire à des quantités phénoménales de données non structurées. Cherchant à résoudre les problèmes méthodologiques soulevés par ce type d’usage, le scientifique Doug Laney publie un article de référence, en 2001, dans lequel il définit le big data à l’aune de trois dimensions : (1) son volume, soit la quantité de données qui sont collectées et stockées, et qui augmentent significativement au fil du temps; (2) sa variété, qui résulte le plus souvent d’une collecte chaotique, reposant sur des sources à la fois fiables et suspectes, c’est-à-dire sujettes à répétition et potentiellement erronées; (3) sa vélocité, soit la vitesse ahurissante à laquelle les données sont dorénavant traitées, puis distribuées à travers le monde. Bien que cette définition demeure abondamment citée dans la littérature scientifique, elle a été vivement critiquée depuis la parution de l’article. Certaines recherches soutiennent, par exemple, qu’en étant principalement axé sur l’extensibilité des calculs, ce modèle aurait insuffisamment problématisé les enjeux associés à la perceptibilité et à la compréhensibilité des données massives. D’autres mettent également en évidence le fait que ce modèle évacue les enjeux sociopolitiques soulevés par l’exploitation des données massives. Quoiqu’il en soit, l’accroissement des données suscite de nombreux questionnements quant à leur utilisation actuelle et future, ce qui contribue à modifier significativement le statut de l’archive dans les sociétés contemporaines. – A.L.

Big data

L’archéologie des médias est un champ d’études historiques qui tente de clarifier comment de nouveaux régimes médiatiques ont pu voir le jour et se développer. Elle remet en question l’idée selon laquelle l’apparition d’un nouveau média représenterait forcément un progrès technologique vis-à-vis des médias antérieurs. Dans cette perspective, ce champ d’études manifeste un intérêt pour les médias dits « morts » (dead media), qui regroupent l’ensemble des technologies de l’information et de la communication devenues obsolètes. Ces recherches mettent notamment en évidence que les nouveaux médias font souvent revivre et recirculer des matériaux et des techniques de communication perdus, négligés ou occultés au fil du temps. Cette nouvelle archéologie soutient que la compréhension de l’échec ou de la réussite de certains médias (p. ex. la télévision, la radio, le cinéma, etc.) permettrait d’éclairer la fabrique médiatique contemporaine, au prisme des processus matériels et idéels qui la constituent. C’est pourquoi ce champ d’études s&#8217;intéresse tout particulièrement aux relations qui s’instaurent entre les fantasmes médiatiques d’une société donnée et leurs développements technologiques respectifs, afin de déceler comment certaines idées ou croyances ayant trait à des médias imaginaires ou spéculatifs sont susceptibles d’affecter de manière significative la formation de nouveaux régimes médiatiques. Selon le spécialiste Jussi Parikka, l’analyse de la sédimentation historique entourant les médias et les techniques serait un « exercice conceptuel et pratique visant à en cerner les singularités esthétiques, culturelles et politiques1». Les théories et les concepts associés à l&#8217;archéologie des médias ont été principalement élaborés par Thomas Elsaesser, Erkki Huhtamo, Siegfried Zielinski et Wolfgang Ernst, en prenant appui sur les écrits de Michel Foucault sur l&#8217;archéologie du savoir, de Walter Benjamin sur la culture des médias de masse, et enfin de C. W. Ceram sur l&#8217;archéologie du cinéma. D’autres ont aussi contribué à l&#8217;émergence de ce champ d’études, comme Eric Kluitenberg, Anne Friedberg, Friedrich Kittler et Jonathan Crary. En s’appuyant sur l’archéologie des médias, on peut dire que l’archivage numérique repose implicitement sur un fantasme médiatique : celui de capter, de fabriquer et d’orienter sans délai la compréhension du présent à l’échelle planétaire, les événements tendant aujourd’hui à nous être présentés comme des « données », plutôt que comme des informations à recouper, à comparer et à interpréter. – A.L.
 
1 Parikka, Jussi, What is Media Archaeology? Cambridge, Polity, 2012.

Archéologie des médias

L’accélération est un concept sociologique qui prend racine dans les écrits de Hartmut Rosa, et plus particulièrement dans son livre Accélération – Une critique sociale du temps (2010). Souhaitant analyser la prégnance des structures temporelles dans les sociétés contemporaines, l’auteur émet l’hypothèse selon laquelle le processus de modernisation serait fondé autour d’une logique secrète : celle de l’accélération sociale, entendue comme « une augmentation quantitative par unité de temps1 ». Selon Hartmut Rosa, cette dynamique sociale prendrait essentiellement trois formes : (1) l’accélération technique, soit celle qui est intentionnelle et orientée vers un but; (2) l’accélération du changement social, c’est-à-dire l’augmentation des rythmes de transformation sociale; (3) et l’accélération du rythme de vie, c’est-à-dire l’augmentation du nombre d’épisodes d’action vécu par unité de temps2. Par extension, il note que l’accélération sociale tend aujourd’hui à devenir un processus autoalimenté, ce qui place ces trois registres dans la spirale d’une relation synergique. Or, l’existence d’une telle spirale n’induit pas forcément une augmentation de la qualité de vie. Par exemple, la démocratisation de l’automobile a certes permis d’accélérer le temps parcouru entre deux distances fixes, mais elle s’est aussi paradoxalement accompagnée d’une augmentation de la distance moyenne à parcourir, de sorte que le gain de temps « réel » mérite d’être relativisé au cas par cas. Dans le même registre, on peut dire que si l’information circule plus vite aujourd’hui, cela ne signifie pas forcément que la population soit en moyenne « mieux » informée. – A.L.
 
1 Rosa, Hartmut, Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstrukturen in der Moderne, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2005. ; Traduction en langue française : Rosa, Hartmut, Accélération. Une critique sociale du temps, Didier Renault (trad.) Paris, La Découverte/Poche, 2010.
2 Ibid. pp. 85-121.

Accélération

Print Wikipedia anticipait d’imprimer tous les articles en langue anglaise de l’encyclopédie en ligne Wikipédia afin de donner une idée de sa taille physique réelle1. Selon Michael Mandiberg, le projet peut être considéré à la fois comme une visualisation de la plus imposante accumulation de savoir humain et comme un geste poétique face aux défis de la connaissance soulevés par l’exploitation des données massives2. La création d’un logiciel spécial a été nécessaire pour recueillir, calculer, puis formater la quantité d’informations perpétuellement mise à jour. Lors de sa présentation à la Denny Gallery à New York, l’installation comprend, sur les 7 473 volumes de Wikipédia existant en date du 7 avril 2015, 106 volumes imprimés de 700 pages, la représentation graphique des tranches de 1 980 volumes, tapissée sur les murs, un index de 36 volumes recensant les pseudonymes des 7 488 091 de contributeurs et contributrices anglophones triés par ordre alphabétique, ainsi qu’une table des matières de 63 372 pages répartie dans 91 volumes. Print Wikipedia questionne l’accumulation incessante du savoir et la propension de l’archive générées par les technologies numériques. Il en révèle aussi l’obsolescence programmée car, aussitôt qu’un volume est imprimé, il est d’ores et déjà périmé. – A.L.

En collaboration avec le programmeur Jonathan Kirinathan

Print Wikipedia

Ryoji Ikeda met en exergue le fait que les sociétés contemporaines génèrent une quantité incommensurable de données qui peuvent être réutilisées, repensées et ré-imaginées. Datamatics est un des premiers projets d’art numérique de l’artiste qui explore le potentiel visuel et sonore produit par les flux de données. Combinant des représentations abstraites de la matière, du temps et de l’espace, l’œuvre se compose d’une masse de données indéchiffrables, qui défile à l’écran sous formes visuelles et sonores. Des logiciels calculent en temps réel le balayage des données de façon à créer une séquence continue. Passant du noir et blanc à la couleur, le flux des données donne également une idée de l’évolution technologique au fil du temps. Abstraite, immersive, voire hypnotique, Datamatics explore le seuil de nos facultés perceptives, cognitives et affectives. En cela, elle souscrit à une esthétique du flux, soit au « sentiment que quelque chose nous déborde dans le champ du sensible et ne s’arrête jamais, coule indéfiniment comme si rien n’était plus autonome1 ». – A.L.
 
1 Chatonsky, Grégory, « Esthétique du flux », Rue Descartes, Vol. 1, No 55, 2007, pp. 86-99.

En collaboration avec les infographes et programmeurs informatiques Shohei Matsukawa, Daisuke Tsunoda et Tomonaga Tokuyama

Datamatics

What Happens in Halifax Stays in Halifax (In 36 Slides) documente le processus d’enquête menée par Mario Garcia Torres afin de savoir ce qu’il est advenu de The Piece Will Cease to Exist, une instruction que Robert Barry a fait parvenir par fax à un groupe étudiant du Nova Scotia College of Art and Design (Halifax), en 1969, dans le cadre du cours Project Class. Le secret avait-il été révélé? L’œuvre avait-elle cessé d’exister? Avait-elle eu une vie au-delà de sa proposition conceptuelle? Sa reconstitution 35 ans plus tard se heurte à l’absence de documentation, à la rumeur, à des contradictions et, finalement, à l’impossibilité d’établir la vérité. Reprenant un mode de présentation utilisé par Robert Barry dans les années 1970, Mario Garcia Torres présente en boucle, sur deux projecteurs de 50 diapositives noir et blanc, le récit de son enquête ainsi que la rencontre qu’il a organisée à Halifax avec les membres du groupe qu’il a réussi à localiser. What Happens in Halifax Stays in Halifax (In 36 Slides) est moins à propos de l’œuvre originale qu’à propos du secret qu’il l’entoure et ce qui est possible d’en dire aujourd’hui. Elle montre les écarts sur lesquels la connaissance de l’œuvre d’art achoppe surtout avec l’art conceptuel : l’événement et l’archive, le passé et le présent, la mémoire et l’histoire. – M.F.

What Happens in Halifax Stays in Halifax (In 36 Slides)

Infome Imager Lite est une œuvre d’art en ligne qui, en utilisant des robots d’indexation, collecte des données sur le Web et fournit des méthodes pour les mettre en réseau et les visualiser. Sa construction est presque entièrement confiée au public : participation directe au processus d’indexation, mise en marche de nouveaux robots d’exploitation, contrôle de la collecte et visualisation des données. Lisa Jevbratt poursuit ici son exploration des codes et des langages du Web. Plutôt que de transformer des données en information, elle cherche à les traduire sous d’autres formes visuelles et symboliques non conventionnelles afin d’investiguer leur structure inhérente. Les données sont pour elle réelles, ce sont en quelque sorte des « objets », des « artefacts » qui ont une existence propre. Le titre propose d’ailleurs une analogie entre le code informatique et le code d’un organisme vivant. Infome est un mot-valise combinant le terme « information » avec le suffixe « ome », qui désigne, dans les domaines de la biologie et de la génétique, un ensemble de composés organiques (p. ex. chromosome, génome, etc.). L’artiste estime que le code génétique constitue à la fois « une trace (ou un historique) de nos activités et une circonstance déterminante, dans la mesure où il est le terrain même sur lequel nous nous trouvons et qu’il conditionne nos rapports à l&#8217;environnement1 ». Le réseau de réseaux que représente l’Internet pourrait aussi être pensé comme un sol façonné par diverses couches géologiques, comme une entité dynamique et mouvante. En tracer la cartographie, comme le propose Infome Imager Lite, pourrait potentiellement remettre en question les hypothèses politiques et économiques qui ont présidé à sa construction. – A.L.
 
1 Jevbratt, Lisa, « The Infome. The Ontology and Expressions of Codes and Protocols », URL : &lt;<a href="http://jevbratt.com/writing/crash_jevbratt.pdf">http://jevbratt.com/writing/crash_jevbratt.pdf</a>&gt;.

Infome Image Lite

Postcards from Google Earth est une collection d’images réalisée à partir de captures d’écran sur le site de navigation Google Earth. Les photographies présentent d’étranges déformations, des anomalies qui sont générées par le fonctionnement même du logiciel, son réseau d’algorithmes, son système de stockage, de caméras, de cartes, de pilotes informatiques. C’est comme si deux modèles d’images qui ne correspondent pas se superposaient et créaient des déformations : le modèle 3D qu’utilise Google Earth pour former la surface de la Terre et la cartographie de la photographie aérienne. Les anomalies qu’on observe dans les captures d’écran prises par Clement Valla ne sont donc pas le fruit du hasard : « Lorsque ces photographies sont déformées et étirées sur la topographie 3D de la terre, écrit-il, nous regardons à la fois le plan de l&#8217;image déformée et, à travers ce même plan, l&#8217;espace représenté dans la texture. En d&#8217;autres termes, nous regardons deux espaces simultanément1 ». En collectionnant ces anomalies sous forme de cartes postales, Postcards from Google Earth ne cherche pas tant à attirer notre attention sur les défaillances du système qu’à en exploiter les possibilités esthétiques. Le projet montre aussi que la vision hégémonique de l’entreprise Google Earth, qui vise à donner un nouveau modèle de représentation planétaire, peut potentiellement s’auto-subvertir. – A.L.
 
1 Valla, Clement, « The Universal Texture », Rhizome, 31 juillet 2012, URL : &lt;<a href="https://rhizome.org/editorial/2012/jul/31/universal-texture/#notes">https://rhizome.org/editorial/2012/jul/31/universal-texture/#notes</a>&gt;.

Postcards from Google Earth

Pockets Full of Memories est une installation d’art génératif qui présente la construction d’une archive ou d’une collection d’objets en temps réel. Comme dans plusieurs de ses œuvres, George Legrady utilise des méthodologies de programmation informatique avancée pour mettre à profit la participation du public et offrir un accès immédiat aux données et à leur configuration dans l’espace d’exposition. Lors de la première présentation de Pockets Full of Memories, en 2001, au Centre Pompidou à Paris, près de 20 000 personnes ont contribué à enrichir sa base de données et plus de 3 300 objets ont été numérisés, classés et stockés par un logiciel qui utilise une carte auto-adaptative développée grâce à l’intelligence artificielle, et plus particulièrement grâce à un réseau de neurones artificiels. L’algorithme permet d’auto-organiser et de positionner spatialement les objets au fur et à mesure qu’ils s’intègrent à la base de données. La cartographie de la collection est projetée dans l’espace alors qu’elle se modifie au fur et à mesure que de nouveaux items font leur apparition. S’il s’agit principalement d’effets personnels, tels que des téléphones, des clés, des morceaux de vêtements, des documents, de la monnaie, du matériel de lecture, etc., on raconte toutefois que des parties du corps, comme des têtes, des mains ou des pieds ont également été numérisés. Si de tels gestes dépassent les limites conceptuelles du projet, l’algorithme a pu transposer ce nouveau type de données sans heurt. En passant ainsi d’une collection d’objets à un encodage de la présence corporelle, Pockets Full of Memories s’est transformée en « une extension métaphorique du corps humain1 ». – A.L.
 
1Legrady, George et Timo Honkela, « Pockets Full of Memories: An Interactive Museum Installation », Visual Communication, Vol. 1, No 163, 2002, URL : &lt;<a href="http://vcj.sagepub.com/cgi/content/abstract/1/2/163">http://vcj.sagepub.com/cgi/content/abstract/1/2/163</a>&gt;.

En collaboration avec le scientifique Timo Honkela

Pockets Full of Memories

Babel est composée de centaines de radios analogiques récupérées et empilées les unes par-dessus les autres pour former une tour circulaire de plusieurs mètres de hauteur. L’élévation rend compte de l’histoire moderne, de l’évolution technologique, ainsi que de l’obsolescence de plus en plus rapide. Les transistors plus anciens sont situés au niveau du sol et constituent les fondations, tandis que les plus compacts et les plus récents sont placés à son sommet. Chaque appareil capte les ondes d’un émetteur différent et le volume est réglé au minimum. Un spectre de fréquences se propage dans l’espace d’exposition : les sons se font concurrence, les informations, les voix ou les musiques sont inintelligibles. Cildo Meireles adapte également l’œuvre à l’environnement social, culturel et linguistique de sa présentation, en réglant les radios sur des fréquences locales, de telle sorte que les langues varient d’un lieu à un autre. Par son titre, Babel propose une réinterprétation contemporaine du récit bien connu du même nom rapporté dans le Livre de la Genèse, qui traite de la diversité des langues, de la puissance de l’effort collectif, des méfaits de l’orgueil humain, de la fonction civilisatrice de la ville et, surtout, de la totalisation du savoir. Symbole de la confusion, le mythe de Babel continue d’être fréquemment cité afin d’évoquer l’impossibilité de bâtir un régime de savoir unifiant. – A.L.

Babel

Auge/Maschine I-III [Œil/Machine I-III] est une trilogie d’œuvres d’art vidéo qui s’intéresse au nouveau régime visuel inauguré par les images opérationnelles et plus particulièrement à leur utilisation à des fins stratégiques, géopolitiques et militaires dans le contexte de la Guerre du Golfe (1990-1991). L’enjeu de ce conflit, auquel le monde assiste en temps réel, n’est pas le développement d’un nouvel armement, mais une nouvelle politique de l’image. Les systèmes mondiaux d’alerte rapide, la surveillance de zones par des capteurs sismiques, acoustiques ou radar, la radiogoniométrie, la surveillance des communications en temps réel, ainsi que les techniques de cryptographie qui visent à déjouer la collecte de données par l’ennemi constituent autant d’alternatives qui pointent dans une seule et même direction : l’expérience du monde tend à être de plus en plus médiée par des programmes, des logiciels et des modèles de toutes sortes. S’appuyant sur un récit historique et documentaire, la trilogie de Harun Farocki s’interroge sur cet état de fait et rend publiques diverses reproductions de ce type d’image. Elle montre également que ces technologies de l’image militaire se trouvent à imprégner la vie civile. – A.L.

Fait partie de la trilogie Auge/Maschine I-III, 2001

Auge/Maschine III

The Atlas Group se présente sous la forme d’un centre de recherche fictif ayant pour mandat de documenter l&#8217;histoire contemporaine du Liban et, plus particulièrement, les guerres civiles de 1975 à 1990. S’appuyant sur la découverte, la collecte et la production de documents audio, visuels et textuels, tels que des carnets, des films, des vidéos, des installations multimédias, des essais visuels et littéraires ou des lectures-performances, Walid Raad dévoile comment la gestion de l’information s’entremêle toujours à des énoncés d’intention, à des attitudes et à des principes directeurs qui servent de cadres de référence pour asseoir l’interprétation des événements. En répertoriant des informations traditionnellement délaissées dans le champ des études historiques, mais aussi en brouillant les relations entre réalité et fiction, The Atlas Group remplace le pouvoir de l’histoire officielle par des récits alternatifs. Cette remise en question du processus historique a pour conséquence de mettre au jour la « vérité de l’expérience psychique issue de la mémoire collective1», un rapport au temps dans lequel les souvenirs se recomposent, oscillant entre l’oubli et la réminiscence, le traumatisme refoulé et la nécessité de savoir. Le projet n’entend pas aborder les faits « en regard d’une facticité brute, mais à travers les médiations complexes par lesquelles ils acquièrent une forme d’immédiateté2 », une démarche documentaire et archivistique qui met en évidence le réel et son double. – A.L.
 
1 Bouveresse, Juliette, « Walid Raad / The Atlas Group », Les clés du Moyen-Orient, Consulté le 10 janvier 2021, URL : &lt;<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Walid-Raad-The-Atlas-Group.html#nb5">https://www.lesclesdumoyenorient.com/Walid-Raad-The-Atlas-Group.html#nb5</a>&gt;.
2 Gilbert, Alain et Walid Raad, « Walid Ra’ad by Alain Gilbert », Bomb Magazine, No 81, 1er Octobre 2002, [traduction libre].

The Atlas Group

24, 698 Days (100 Years Calendar) fait partie des œuvres de On Kawara qui cherchent à représenter le temps chronologique et à enregistrer la vie quotidienne. Composé de deux calendriers, dénombrant les 82 années de sa vie, le projet expose le rythme et la fugacité de l’existence humaine à travers un décompte standardisé et protocolaire, jour après jour, année après année. Chaque calendrier comporte dix rangées et douze colonnes. Chaque rangée contient une décennie et les colonnes représentent les mois d’une année. Les dimanches sont représentés à l’aide d’un point noir. Chaque jour de la vie de l&#8217;artiste est marqué d&#8217;un point jaune. Chaque jour où une peinture de la série Today a été achevée est marqué d&#8217;un point vert et les points rouges indiquent les jours où plus d&#8217;une peinture a été réalisée. Les deux calendriers exposent ainsi des faits saillants de la vie intime et professionnelle de l’artiste. Ils précisent, par exemple, qu&#8217;il est né le 24 décembre 1932, et non le 2 janvier 1933, comme cela a été officiellement enregistré et rendu public avant son décès, survenu le 10 juillet 20141. Ils révèlent également au public les mois de forte ou de faible création artistique. Les protocoles conceptuels que l’artiste a mis en place dans ses œuvres s’appliquent ainsi à résumer une vie entière, en la confinant à l’intérieur d’une seule grille. Au-delà de leur schématisation, les calendriers prennent alors un statut d’archives et de mémoire. – A.L.
 
1 Guggenheim [Online Collection], « Calendars: One Hundred Years and One Million Years », Consulté le 7 décembre 2021, URL : &lt;<a href="https://www.guggenheim.org/teaching-materials/on-kawara-silence/calendars-one-hundred-years-and-one-million-years">https://www.guggenheim.org/teaching-materials/on-kawara-silence/calendars-one-hundred-years-and- one-million-years</a>&gt;.

24, 698 Days (100 Years Calendar)

One Year Performance 1980-1981 (Time Clock Piece) traite du caractère obsessionnel et compulsif de la quantification du temps. Dans son atelier à New York, pendant précisément une année, d’avril 1980 à 19h00 à avril 1981 à 18h00, Tehching Hsieh se soumet à un protocole rigoureux pour mesurer et enregistrer le temps chronologique. Toutes les heures, sept jours par semaine, il estampille une carte de pointage en utilisant une horloge de type mécanique, comme on en retrouve dans l’industrie. Afin de figurer ce processus dans sa longue durée, il se rase le crâne au début de la performance et laisse naturellement pousser ses cheveux au fur et à mesure que les heures, les jours et les mois défilent. Pour conserver et exposer les traces de sa performance, l’artiste prend une photographie de lui-même à chaque pointage : 8 267 photographies ont été prises. Il donne ainsi à voir la répétition de son geste et l’accumulation des documents au fil du temps. Un témoin, David Milne, est chargé de signer quotidiennement les cartes de pointage, de produire une attestation à chaque fois que l’horloge tombe en panne ou qu’elle devait être réglée et, aux termes du processus, de signer et de sceller définitivement la pointeuse. Le protocole de la performance met en lumière les paradoxes associés à la quantification du temps. Loin d’être neutre, le système de mesure montre aussi l’impact du temps de l’horloge sur la vie humaine; il en détermine à la fois le rythme, le passage et la durée. – A.L.

Fait partie de la série One Year Performance 1980-1981 (Time Clock Piece), 1980-1981

The First Five Hours of Images and the Last Five Hours of Images

One Year Performance 1978-1979 (Cage Piece) thématise les paradoxes de l’archive et de son inscription temporelle. Durant une année complète, de septembre 1978 à septembre 1979, Tehching Hsieh s’est enfermé dans son atelier, au 111 Hudson Street à New York, à l’intérieur d’une cage en bois de 3,5 × 2,7 × 2,4 mètres, équipée uniquement d’un lavabo, de lampes, d’un seau et d’un lit simple. Il s’est interdit de parler, de lire, d’écrire ou d’écouter la radio et la télévision. Son ami, Cheng Wei Kuong, lui apportait régulièrement de la nourriture et des vêtements, évacuait ses déchets et prenait un cliché photographique chaque jour afin de documenter l’entièreté du projet et sa durée. Un avocat, Robert Projansky, a notarié l’ensemble du processus, en certifiant que l’artiste n’avait jamais quitté la cage durant la période convenue. La performance était accessible au public une à deux fois par mois, de 11h00 à 17h00. Malgré les similitudes avec l’expérience carcérale, l’artiste ne souhaite pas que son travail soit interprété comme une déclaration politique à l’endroit de la prison1. En instituant une relation d’équivalence entre l’art et la vie, il s’agit plutôt de matérialiser le passage du temps. La performance a aussi pour effet de générer une production archivistique afin d’en représenter la durée et d’en établir la légalité. L’archive est ici à la fois productrice de temporalité et de preuves. – A.L.
 
1Chen, Lisa, Eugene Lim et Anelise Chen, « An Interview with Tehching Hsieh », The Believer, Consulté le 2 janvier 2021, URL : &lt;<a href="https://believermag.com/an-interview-tehching-hsieh/">https://believermag.com/an-interview-tehching-hsieh/</a>&gt;.

Fait partie de la série Lifeworks

One Year Performance 1978-1979 (Cage Piece)

La conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires est un livre d’artiste qui critique d’une manière acerbe les documents géographiques utilisés en temps de guerre, afin d’annexer des régions et des territoires. Sa taille minuscule détourne le format traditionnel d’un atlas, l’organisation géographique et textuelle n’est pas non plus conforme à la réalité du terrain, les pays sont sélectionnés arbitrairement et classés par ordre alphabétique, indépendamment de leurs localisations ou de leurs superficies respectives. Marcel Broodthaers ne délivre pas non plus d’information de types géopolitique ou stratégique, l’atlas évoque plutôt « un code obscur, une nomenclature mystérieuse, voire un idiolecte surréaliste empreint de poésie1». D’une manière générale, ce petit livre d’artiste tourne en dérision la pulsion scopique qui anime habituellement ce genre de littérature et ses visées de conquête. L’expérience du monde, loin d’être traduisible au moyen d’une représentation cartographique ou d’une connaissance théorique, requiert plutôt une vision qui tranche avec la volonté de tout voir, de tout appréhender, de tout cartographier. – A.L.
 
1 Muracciole, Marie, « …Une fiction permet de saisir la réalité et en même temps ce qu’elle cache », Le Portique, No 5, 1er Semestre 2000, DOI : &lt;<a href="https://doi.org/10.4000/leportique.383">https://doi.org/10.4000/leportique.383</a>&gt;.

À la conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires

Picture Window Piece interroge l’ubiquité des technologies de surveillance et, plus spécifiquement, des systèmes de captation vidéo en temps réel. Comprenant deux caméras et deux moniteurs vidéo placés en vis-à-vis, de part et d’autre, d’une baie vitrée sur la façade d’une maison particulière, l’installation dévoile comment le dispositif de surveillance tout comme l’espace architectural brouillent les frontières entre la vie privée et l’environnement social. Les fenêtres panoramiques qu’on peut apercevoir couramment dans les maisons modernes nord-américaines établissent une limite entre intérieur et extérieur tout en ouvrant l’espace de la vision. Dan Graham exploite aussi un autre type de regard : celui de l’auto-observation des sujets médiée par la captation vidéo en temps réel. Ainsi, il devient possible de visualiser l’intimité des sujets à travers la vitre, et de voir le reflet de sa propre image filmée et diffusée en temps réel sur le moniteur. Picture Window Piece met ainsi en place un dispositif de surveillance à triple point de vue : observer, se faire observer, mais aussi s’auto-observer en observant. – A.L.

Picture Window Piece

Television Delivers People est une œuvre d’art vidéo qui remet en question la fonction politique et idéologique de la télévision, à même son mode de distribution. À l&#8217;aide d&#8217;un texte défilant, en lettres jaunes sur fond bleu, et d&#8217;une musique dite d’ascenseur, l’œuvre se présente ironiquement sous la forme d’un spot publicitaire à petit budget. Elle est composée de phrases qui interpellent volontairement les gens, en leur dévoilant brutalement le contrôle social qu’exerce la télédiffusion, le divertissement de masse et les chaînes d’informations. L’expression populaire « si tu ne payes pas, c’est que tu es le produit » provient à l’origine de cette œuvre1 – signe que certaines phrases extraites de la vidéo demeurent aujourd’hui d’une grande actualité. Les deux artistes, Richard Serra et Carlota Fay Schoolman, ont acheté du temps d’antenne pour diffuser la pièce au public, en 1973 :  
<blockquote>The product of television, commercial television, is the audience. Television delivers people to an advertiser. There is no such a thing as mass media in the United States except for television. Mass media means that a medium can deliver masses of people. Commercial television delivers 20 million people a minute. In commercial broadcasting the viewer pays for the privilege of having himself sold. It is the consumer who is consumed. You are the product of TV. You are delivered to the advertiser who is the customer. He consumes you. The viewer is not responsible for programming — You are the end product. You are the end product delivered en masse to the advertiser. You are the product of TV.2</blockquote>
 – A.L.
 
1 O’Toole, Garson, « You’re Not the Customer, You’re the Product », Quote Investigator, Consulté le 20 décembre 2021, URL : &lt;<a href="https://quoteinvestigator.com/2017/07/16/product">https://quoteinvestigator.com/2017/07/16/product</a>/&gt;.
2 Meigh-Andrews, Chris, A History of Video Art: The Development of Form and Function, Oxford, Berg, 2006, pp. 152-154.

Television Delivers People

Avec Variable Piece #70 – Global, Douglas Huebler s’est fixé l’objectif de prendre un cliché photographique de toutes les personnes vivantes dans le monde avant sa mort. Faisant preuve d’une ambition démesurée, le projet met en évidence la fonction première d’une archive : conserver, classer et ranger n’importe quel type de document. C’est en 1969 que l’artiste pose les premiers jalons de la réflexion qui l’amènera à amorcer ce travail : « The world is full of objects, more or less interesting; I do not wish to add any more. I prefer, simply, to state the existence of things in terms of time and/or place1 ». Dans le contexte actuel d’une massification des données, cette attitude conceptuelle laisse apparaître le désir d’exhaustivité et la soif de réalité qui animent les sociétés contemporaines, soit la volonté de produire un ensemble de modèles ou de descriptions formelles qui viendraient épuiser une matière ou un sujet à fond2. Paradoxalement, Variable Piece #70 – Global est vouée au saisissement de ses propres limites, en raison du caractère inépuisable, voire monstrueux de son processus et de son archive. – A.L.
1 Museum of Modern Art (MoMA), « Douglas Huebler, Variable Piece #70: Global 81, 1973 », Consulté le 18 décembre 2021, URL : &lt;<a href="https://www.moma.org/collection/works/96221">https://www.moma.org/collection/works/96221</a>&gt;.

Fait partie de la série Variable Piece #70 – Global, 1971-1997

Variable Piece #70 (In Process)

Lunar Maps est une série de dessins, de gouaches et de peintures réalisée à partir d’images satellites de la Lune rendues disponibles grâce aux nouvelles technologies d’enregistrement de la NASA. D’autres séries de dessins, s’appuyant sur des images de la Terre et de Mars, ont également été réalisées par Nancy Graves durant la même période. Ces œuvres donnent ainsi à voir des territoires inexplorés à partir d’un point de vue inédit pour l’époque : une vision éloignée et en hauteur. Ces nouvelles références visuelles propres aux techniques d’enregistrement et de transmission par satellite développées dans le contexte militaire de la Guerre froide commencent à circuler dans le domaine public à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Les artistes y découvrent non seulement un nouveau type de clichés photographiques, mais aussi une nouvelle façon d’observer à distance et de cartographier à partir de données précises et scientifiques. Nancy Graves utilise de telles images à des fins artistiques, et non plus scientifiques, en les représentant de façon plus abstraite. Comme l’architecte Laura Kurgan l’explique, l’unité planétaire qu’évoque ce type de clichés photographiques peut être interprétée selon des visées contradictoires : « la fraternité universelle d&#8217;une humanité commune, un geste de domination impériale, un effacement abstrait et artificiellement totalisant de différences pourtant bien réelles, la base de nouveaux mouvements politiques mondiaux pour les droits humains ou la responsabilité planétaire1 ». – A.L.
 
1 Kurgan, Laura, Close Up at a Distance: Mapping, Technology and Politics, New York, Zone Books, 2013, pp. 9-10.

Fait partie de la série Lunar Maps, 1971-1976

Maskelyne DA Region of the Moon

Index est une série d’installations qui regroupent la production de Art &amp; Language à la fin des années 1960. Fondé en 1967, à l’initiative de Terry Atkinson, David Bainbridge, Michael Baldwin et Harold Hurrell au Royaume-Uni, le collectif s’est surtout fédéré autour du journal éponyme Art &amp; Language: The Journal of Conceptual Art (1969-1985) et l’essentiel de leur réalisation artistique et théorique prend la forme de textes et de documents. L’idée de regrouper et de catégoriser l’activité du collectif donne lieu à la production d’un premier Index, présenté sous le titre The Art &amp; Language Institute à la Documenta 5, en 1972. L’installation est composée de graphiques étalés sur les murs d’une salle et de textes minutieusement référencés et classés sur des fiches rangées à l’intérieur de meubles de bureau, mis à la disposition du public pour consultation. L’Index s’est ensuite transformé et bonifié au gré de ses expositions, jusqu’en 1975. Avec ce vaste projet d’archives documentaires, Art &amp; Language questionne le statut de l’œuvre d’art et la notion d’auteur en plus de transformer l’activité de catalogage en une activité artistique en soi. Les Index pourraient aussi être considérés comme un exemple précurseur du catalogage de l&#8217;art en tant que données à l&#8217;ère numérique. Entre 1968 et 1982, le groupe comptait près d’une cinquantaine de membres — issus d’horizons variés (artistes, historiens de l’art, critiques, etc.) — parmi lesquels on peut mentionner Charles Harrison, Mel Ramsden, Ian Burn, Michael Corris, Preston Heller, Terry Smith ou encore Joseph Kosuth. – A.L.

Fait partie de la série Index, 1971-1975

Index 01

Library Science interroge les présupposés tacites de la gestion documentaire et, plus particulièrement, du système de classification de la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress Classification), qui demeure encore aujourd’hui un des plus utilisé de par le monde. En ayant recours à un logiciel documentaire, cette proposition artistique cherche à dévoiler l’organisation, la catégorisation et la hiérarchisation des contenus que ce type de classement génère. À l’occasion d’une exposition à la bibliothèque scientifique de la San Diego State Library, Eleanor Antin invite des femmes à fournir un « élément d’information » (piece of information) qui décrit ou représente leur personne, leur vie, leur travail ou tout autre aspect d’elles-mêmes. Les objets et les documents recueillis sont ensuite identifiés et regroupés par sujet, conformément au système de classification de la Bibliothèque du Congrès. Rappelons que celui-ci entend ordonner l’horizon potentiellement infini des connaissances humaines. En reprenant cette méthode scientifique, Eleanor Antin montre l’existence d’une tension entre le caractère intime des matériaux récoltés et l’aspect impersonnel, pour ne pas dire anonymisant, de l’acte classificatoire lorsqu’il s’opère à grande échelle. – A.L.

Library Science

Information: No Theory est une œuvre d’art technologique composée d’un magnétophone à bobine qui recueille les sons environnants d’un espace d’exposition. Fonctionnant en boucle continue, l’appareil enregistre et réenregistre des sons sur la même bobine, de telle sorte qu’à toutes les deux minutes une nouvelle captation efface et remplace la précédente. L’enregistrement se trouve perpétuellement mis à jour alors qu’il est voué à s’autodétruire par le biais de ses propres mécanismes de conservation. L’œuvre a été présentée pour la première fois dans l’exposition de référence de l’art conceptuel, Information (1970), organisée par Kynaston McShine au Museum of Modern Art (MoMA), de New York. Christine Kozlov l’accompagne d’un court texte explicatif : « Loop tape only on record. New information erases old information. Proof of the existence of the information does in fact not exist in actuality, but is based on probability1 ». Information: No Theory fait ici référence à l’origine de la théorie de l’information, en même temps qu’elle cherche à en pointer les limites. Son inventeur, le mathématicien et ingénieur Claude E. Shannon, est parti du principe selon lequel la transmission de l’information doit être appréhendée comme un problème d’ordre strictement technique, à partir de calculs et de probabilités, sans prendre en considération la signification que les êtres humains prêtent aux énoncés1. Le magnétophone qui tourne en boucle expose aussi la désuétude rapide de l’information, remplacée par des données toujours plus actuelles, ainsi que les problèmes de stockage, voire d’archivage. – A.L.
&nbsp;
1 Shannon, Claude E., et Warren Weaver, The Mathematical Theory of Information, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1948, p. 4. ; Voir aussi : Markowsky, George, « Information Theory », Encyclopedia Britannica, Consulté le 18 décembre 2021, URL : &lt;<a href="https://www.britannica.com/science/information-theory">https://www.britannica.com/science/information-theory</a>&gt;.

Information: No Theory

One Million Years est une œuvre épique, conçue initialement en 1969, que On Kawara a commencé à rééditer en 1993 sous la forme d’un ouvrage en deux volumes de 2 012 pages chacun : Past – For All Those Who Have Lived and Died, de 998 031 avant J.-C. à 1969 après J.-C., et Future – For the Last One, de 1993 après J.-C. à 1 001 992 après J.-C. Comme le titre l’indique, le but de l’artiste est de matérialiser le temps chronologique en répertoriant un million d’années. La structure des volumes est systématique et répétitive. Chaque page est identique, formée de dix colonnes, rigoureusement alignées et subdivisées en cinq blocs de 100 ans. À la demande de l’artiste, une première lecture à haute voix a lieu, en 1993, au Dia Center for the Arts à New York. Depuis, des performances ont été présentées de par le monde, dont notamment pendant les cent jours de la Documenta 11 à Cassel, en 2002, et pendant une semaine au Trafalgar Square, en 2004, à Londres. Des parties ont également été enregistrées sous format CD : le premier enregistrement de One Million Years [Future] a été produit par le Dia Center for the Arts, en 1999, et celui de One Million Years [Past], par le Musée d&#8217;Art Moderne de la Ville de Paris, en 2000. Selon un calcul estimatoire, « 2 700 CDs seraient nécessaires pour compléter les lectures de One Million Years [Past and Future], et si 27 CDs devaient être produits chaque année, l&#8217;enregistrement complet de One Million Years prendrait cent ans1». L’œuvre révèle à la fois l’insaisissabilité du temps, les limites de l’entendement humain et la brièveté de l’existence. Elle questionne aussi le statut temporel d’une archive dont la collecte, le dépôt et le classement dépassent la perception, voire la vie de qui en fait l’expérience. – A.L.
 
1 Kawara, On, One Million Years [Past &amp; Future], No  69 &amp; 70, Londres, Mathieu Copeland éditions, 2010.

One Million Years

News est une œuvre d’art technologique qui imprime en temps réel, sur de grands rouleaux de papier, le flux quotidien des informations d’une agence de presse. Hans Haacke laisse les rouleaux de papier s’accumuler chaque jour dans l’espace d’exposition pour ensuite les étiqueter, les dater et les stocker dans de larges conteneurs en Plexiglas. L’œuvre a d’abord été présentée à la Städtisches Kunsthalle de Düsseldorf, dans le cadre de l’exposition Prospect 69. Elle comprend alors un seul téléscripteur branché sur le réseau de communication de la DPA (Deutsche Presse-Agentur). Quelques mois plus tard, elle figure dans une exposition à la Howard Wise Gallery de New York, connectée cette fois sur le réseau de l’UPI (United Press International). Entre 1970 et 1971, une version augmentée comprenant cinq téléscripteurs est présentée dans le cadre de l’exposition Software – Information Technology: Its New Meaning for Art organisée par Jack Burnham. Alimenté par un réseau de communication en continu, le fonctionnement de News brise les frontières entre l’art et l’information et témoigne d’une forme d’hyperprésence caractéristique des sociétés contemporaines1. L’accélération des moyens de transmission électronique et l’augmentation du volume d’information produite attirent de plus en plus l’attention des artistes à partir de fin des années 1960. News met aussi à l’épreuve le principe d’exhaustivité, soit la capacité de traiter l’information dans sa totalité, de manière complète et immédiate. – A.L.
 
1 Broeckmann, Andreas, « Image, Process, Performance, Machine. Aspects of a Machinic Aesthetics », Refresh! conference, Banff, 29.09.2005.

News

The Piece Will Cease to Exist est un projet conceptuel pédagogique réalisé dans le cadre du cours Projects Class, organisé par David Askevold et Garry Neill Kennedy au Nova Scotia College of Art and Design (NSCAD) à Halifax1. Reconnu mondialement comme un des hauts lieux de l’art conceptuel, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, le programme d’arts visuels du NSCAD a acquis un statut quasi mythique. Plusieurs artistes conceptuels ont été invités à concevoir des projets, en respectant un ensemble de paramètres préétablis. C’est à cette occasion que Robert Barry a téléfaxé une proposition invitant un groupe étudiant à se mettre d&#8217;accord sur une idée et à la garder secrète : 
<blockquote>The students will gather together in a group and decide on a single common idea. The idea can be of any nature, simple or complex. This idea will be known only to the members of the group. You or I will not know it. The piece will remain in existence as long as the idea remains in the confines of the group. If just one student unknown to anyone else at any time, informs someone outside the group the piece will cease to exist. It may exist for a few seconds or it may go on indefinitely, depending on the human nature of the participating students. We may never know when or if the piece comes to an end.2</blockquote>
Projects Class était destiné à des étudiantes et étudiants qui ne souhaitaient pas limiter leur pratique à un médium particulier. Au total, douze propositions conceptuelles ont été envoyées par fax par les artistes Robert Barry, Mel Bochner, Jan Dibbets, Dan Graham, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, James Lee Byars, Sol LeWitt, Lucy Lippard, N.E. Thing Co. Ltd., Robert Smithson et Lawrence Weiner. – A.L.
 
1 The Centre for Contemporary Canadian Art, « Projects Class », Concordia University, Gail and Stephen Jarislowsky Institute for Studies in Canadian Art, Consulté le 7 décembre 2021, URL : &lt;<a href="http://www.ccca.ca/resources/searches/event_detail.html?languagePref=en&amp;vk=7539.">http://www.ccca.ca/resources/searches/event_detail.html?languagePref=en&amp;vk=7539.</a>&gt;.
2 Ibid.

The Piece Will Cease to Exist

Konstruktionen New York [Construction New York] est un des premiers projets de Hanne Darboven qui entend matérialiser le passage du temps en manipulant les chiffres, les jours et les dates du calendrier. Les dessins adoptent un langage neutre et synthétique. Réalisés à partir de techniques minimalistes et de moyens rudimentaires (stylos, crayons, machine à écrire et papier millimétré), ils procèdent par la répétition d’une idée simple : inscrire quotidiennement des annotations du calendrier, des dates et des nombres, dans le quadrillage du papier, en les répartissant selon des structures visuelles prédéfinies. Il s’agit d’un processus qui prend du temps, qui prend le temps comme l’un de ses sujets et qui se décline autour de la mesure du temps. Le projet met ainsi en tension l’abstraction mentale, qui fonde notre expérience du temps découpée en unités (jours, mois, années, etc.), et la sensation subjective de son écoulement, de sa fuite en avant. Dans l’espace d’exposition, les dessins sont présentés sous la forme d’une ou plusieurs installations encadrées et méthodiquement alignées, ce qui montre la dimension monumentale du projet et le processus d’archivage nécessaire à sa présentation. La velléité d’enregistrer, de classer et de manipuler des symboles semble préfigurer ici l’avènement du numérique, tout en s’en distinguant, puisque les opérations restent avant tout tributaires de l’écriture d’un corps. – A.L.

Fait partie de la série Konstruktionen New York

Konstruktion New York

Secret Painting est un monochrome noir accompagné d’un court texte explicatif : « The content of this painting is invisible: the character and dimension of the content are to be kept permanently secret, known only to the artist ». Par le biais de cet énoncé paradoxal, consistant à cacher le contenu d’une peinture tout en l’exposant, Mel Ramsden démontre que l’expérience esthétique et son processus d’archivage peuvent s’apparenter à ce que l’on appelle communément une « boîte noire1 » dans le jargon cybernétique : un champ d’études interdisciplinaire ayant vu le jour dans le contexte de la Guerre froide, en se donnant pour mission de proposer une vision unifiée des domaines naissants de l’automatique, de l’électronique et de la théorie de l’information. Au sein de ce cadre théorique, une boîte noire désigne un système muni de bornes d’entrées et de sorties, dont il est impossible d’observer directement le mode de fonctionnement interne et dont le scientifique doit, par conséquent, déduire le contenu de manière strictement inférentielle, en s’appuyant exclusivement sur des observations extérieures. De manière similaire, il nous est impossible de connaître le contenu de l’œuvre Secret Painting, autrement que par l’intermédiaire d’un ensemble de déductions basé sur les observations et les témoignages des divers intervenants qui ont pu manipuler l’œuvre ou la transporter. De ce point de vue, le secret de l’œuvre réside dans trois composantes : une peinture dont on présume l’existence; un texte qui atteste de son existence; et enfin une sur-peinture masquant la peinture originale à l’aide d’un carré noir pouvant être considéré soit comme une pure négation de ce qu’il cache, soit comme une invitation à faire preuve d’imagination.  – A.L.
 
1 Cf. Wiener, Norbert, Cybernetics: Or Control and Communication in the Animal and the Machine, Cambridge, The MIT Press, 1948. ; Traduit sous le titre : La cybernétique. Information et régulation dans le vivant et la machine, R. Le Roux, R. Vallée et N. Vallée-Lévi (trad.), Coll. « Sources du Savoir », Paris, Éditions du Seuil, 2014. ; Ashby, W. Ross, An Introduction to Cybernetics, New York, John Wiley &amp; Sons, 1956.

Secret Painting

Today regroupe une série de peintures mettant en exergue la quantification du temps et les protocoles d’archivage. Presque quotidiennement sur une période de quatre décennies, On Kawara a peint des toiles monochromes de couleur rouge, bleue ou grise, en y inscrivant la date de leur réalisation en lettres blanches. L’exécution souscrit à des règles strictes qui varient très peu à travers le temps. Seuls les formats diffèrent et le système de datation s’adapte à la langue et aux conventions propres aux pays où les tableaux sont réalisés. Chaque tableau est aussi accompagné d’une boîte de rangement tapissée d’une coupure de presse faisant référence aux événements quotidiens. La série appréhende ainsi chaque jour comme une entité distincte tout en marquant le passage régulier et ininterrompu du temps. Le caractère répétitif et quasi mécanique de cette démarche conceptuelle est fondamental. L’ampleur de Today finit par créer une tension entre la volonté de tout archiver et le minimum de moyens mis en place pour y parvenir. Malgré la rigueur du processus, le nombre total d’œuvres peintes sur cette longue durée est impossible à estimer, compte tenu du fait que l’artiste n’a pas produit systématiquement une peinture par jour et que l’ensemble se trouve aujourd’hui disséminé dans un très grand nombre de collections à travers le monde. – A.L.